Université du centre de la France. 50 copies d'examen de L3, comme on dit maintenant, ou de licence (lettres modernes et lettres classiques), comme on disait naguère. Pas ou peu d'étrangers, sinon 3 étudiants Erasmus. Les étudiants sont Bac + 3 et quasiment tous Français "de souche". 5 étudiants - soit 1/10 de l'ensemble - ont fait dans 4 pages manuscrites (équivalant à une page format A4 corps 12) plus de vingt fautes d'orthographe, de grammaire et de vocabulaire. Aucune phrase n'est ponctuée correctement. Ils écrivent éthymologie, therme (pour "mot"), silocisme ou sélicisme (pour solécisme). Pour eux, le participe passé "d'acquérir" est "acquéri" et le présent ou le passé simple (allez savoir !) de ce verbe est acquérit. Ils confondent la troisième personne de l'indicatif du verbe "avoir" (qu'ils écrivent à) avec la préposition à (qu'ils écrivent a). Ils ignorent l'orthographe de l'infinitif passé (ou composé) des verbes du premier groupe : ils écrivent avoir céder (appliquant sans doute la règle : quand deux verbes se suivent le second se met à l'infinitif). L'orthographe des participes passés est pour eux un casse-tête, à moins qu'ils ne se fient au hasard : ils écrivent "il a subit" ou "ils ont faits". Ils n'accordent pas le verbe avec son sujet, ni l'adjectif avec le nom auquel il se rapporte. Ils emploient de façon erratique les déterminants possessifs, le plus souvent à la place de l'article défini. Les impropriétés sont aussi fréquentes que les bourdes. Je n'ai pas eu le coeur à les relever. Alors que 10% des étudiants font plus de vingt fautes, du type de celles que j'ai relevées ci-dessus, les autres font entre 5 et 15 fautes. Si elles avaient été corrigées en rouge, ces copies auraient été autant barbouillées de rouge que les thèmes latins des plus mauvais potaches d'une classe de Première C ou A d'il y a quarante ans. Je ne n'ai lu que deux ou trois copies sans faute, mais, même dans ces copies, à peu près correctes, les accents et les virgules sont placés aléatoirement. Le désastre touche aussi bien les étudiants de lettres modernes que ceux de lettres classiques : l'apprentissage du latin et du grec ne protège personne de la catastrophe. Il est vrai que s'il ressemble à celui du français...
Ces 50 étudiants obtiendront tous en juin leur diplôme : ils seront licenciés ès lettres (modernes ou classiques); dans deux ou trois ans, ils seront ou professeurs des écoles (instituteurs) ou professeurs (certifiés) dans un collège ou auxiliaires ou vacataires quelque part, enseignant peut-être le français à l'étranger.
Le désastre verbal va de pair avec des discours faits de fragments de slogans, en particulier pour tout ce qui se rapporte à l'histoire de France ou à l'histoire de la culture - du type l'obscurantisme médiéval ou le roi, monarque de droit divin, qui impose ses propres croyances à toute la société, l'Eglise ramenée au rang d'un parti totalitaire du type PCUS, empêchant toute expression individuelle, la Révolution libératrice, la loi de 1905, lumière qui a éclairé les ténèbres, les bienfaits de la science au XIXe siècle, etc. En bref, leur culture se résume à un chapelet d'inanités, infirmées depuis longtemps par de grands historiens (le Goff, Pernoud, Le Roy-Ladurie, Goubert, Furet, etc...), comme si ces étudiants avaient séjourné, non pas, comme l'indique à tort leur carnet scolaire, pendant 5 ans à l'école primaire, 4 ans au collège, 3 ans au lycée, mais dans des cellules de partis crypto gauchistes ou comme s'ils avaient été catéchisés, pendant leur scolarité, par des secrétaires de cellules crypto-gauchistes grimés en prof d'histoire ou de français.
Dans les pays du tiers-monde, les disciplines universitaires s'étageaient dans une stricte hiérarchie, des plus prestigieuses, celles qui attiraient les élèves les plus vifs, les plus intelligents, les plus sérieux (médecine, pharmacie, sciences, techniques, écoles d'ingénieurs), aux méprisées, celles où s'inscrivaient les élèves médiocres, bornés, paresseux, un peu sots, pas très intelligents : histoire, géographie, socio, psycho et, tout en bas, de l'échelle, l'arabe, la langue "officielle" ou "nationale" de ces pays, les échelons médians étant occupés par le droit, le commerce, le marketing, les langues étrangères. Dans les années 1960-70, un Français, prenant connaissance de cette échelle de valeurs et la transposant, par pure spéculation, dans son propre pays, pouvait légitimement penser que les humanités, les lettres, l'étude de la langue nationale, ne subiraient jamais en France un si cruel abaissement : il y avait dans les lycées, dès la classe de 6e, des sections classiques, puis de la classe de 4e aux classes terminales, les sections A ou A' ou C, enfin les classes préparatoires ou même les universités - de sorte qu'apprendre le latin, le grec, le français, ou faire des lettres n'était pas déchoir ou se retrouver tout en bas de la caste intellectuelle. Le Ministère de l'Education nationale veillait aussi, il y a trente ans, à ce que les professeurs soient recrutés parmi les anciens bons ou très bons élèves.
Il semble que tout cela soit "caduc", comme disait Arafat. La France est rentrée dans le rang. L'échelle de valeurs qui y a cours, pour ce qui est des études, est, si l'on se fonde sur ce qu'on lit dans les copies d'étudiants de licence, celle qui prévalait (et prévaut encore) dans les pays dits du tiers monde. Le désastre ne suffit pas : il faut que l'humiliation le couronne.