Cher Bernard,
L'intérêt d'un tel dialogue avec vous, s'il en est un, est bien celui de me faire mesurer les limites de mes capacités d'expression: je ne parviens tout simplement pas à me faire entendre.
Dans cet énoncé:
Je puis dire que mon père mesure six pieds six pouces, cela a un sens certain, et même assez rigoureux, surtout si l'on prend pour convention le pied du roi.
il y a trois termes à la prédication: vous, votre père, le pied du roi, ce dernier, applicable communément au père et au fils, permet de mesurer séparément votre taille et celle de votre père, puis éventuellement de jouer à des comparaisons, d'établir des proportions entre les deux à l'aune d'une unité de convention qui vous est extérieure: l'étalon "pied du roi".
Dans l'énoncé
l'univers compte (environ) 13,5 milliards d'années, il n'y a que
deux termes, deux entités confrontées l'une à l'autre, en l'absence de toute convention extérieure; ces deux entités sont l'univers et son contenu, soit la planète Terre gravitant autour du soleil.
Nous sommes en présence de l'énoncé d'une proportion interne à l'objet considéré, où l'on nous dit
l'univers est âgé d'environ 3,5 fois l'âge de la terre. C'est à dire que l'on ne nous dit RIEN.
Une mère âgée de 35 ans, et dont on vous aura caché l'âge, déclarera sur le papier: mon âge est de
douze fois celui de mon fils, sans indiquer l'âge du fils, sans cette tierce convention de l'année solaire, c'est à dire, retenez bien ceci,
sans le troisième pôle du prédicat de votre exemple où le pied du roi vaut l'année solaire de mon exemple, et chacun de pouvoir en retirer l'impression que cette femme doit être assez âgée.
Une autre mère, âgée de 45 ans, dont on aura mêmement caché l'âge, qui déclarera dans les mêmes conditions, "j'ai (seulement)
quatre fois et demie l'âge de mon fils", pourra au contraire être intuitivement perçue comme une jeune femme.
Vous voilà exposé du mieux que je le peux le caractère faux et illusoire de cette mesure qui n'en n'est pas une. J'ai cependant appris récemment qu'en 1957, la communauté scientifique - peut-être confusément consciente de cette faille logique - conçut de recourir à une unité nouvelle de temps pour l'univers: l'éon, déjà familier des géologistes, mais dont la valeur devait être fixée à un milliard de gravitations terrestre - le projet fut abandonné.
Je pense comme vous que la mythologie est seule à même d'expliquer les cycles universels et la dynamique élastique du temps (télescopage, effet de gigogne des ères). Mon sentiment est en effet que le classement humain, historiographique, du temps mériterait un traitement par la relativité générale - la Guerre froide, par exemple, était évoquée sur le mode du révolu, du passé, dans les années 80, alors que dans années 90, la décennie 80 a été jugée comme en faisant partie; de même la Révolution culturelle chinoise qui, à la mort de Mao, était évoquée au passée, alors que ce temps est aujourd'hui considéré par les historiens comme inclus en elle.