Grève dans les prisons.

J'entendais hier soir en voiture un court entretien avec une représentante des surveillants de prison qui expliquait les raisons de leur grève. En résumé : leurs conditions de travail sont insupportables à cause de la surpopulation carcérale et parce que les détenus sont de plus en plus agressifs. Il y avait certes des doléances qui s'adressaient à l'administration : il faudrait davantage de postes et un traitement plus gratifiant, mais, à tort ou à raison, mon impression était que ces gens n'en peuvent plus à cause de ce que leur font subir les taulards. L'incontestable surpopulation carcérale ne doit évidemment rien faire pour adoucir les mœurs mais nous savons bien qu'il n'y a pas que dans les prisons que la population se montre de plus en plus agressive et violente, notamment cette partie de la population dont est issue la majorité des emprisonnés.

Malgré la grande vulgarité avec laquelle cette femme s'exprimait, je ressentais en l'écoutant une certaine sympathie, en tout cas beaucoup de compréhension. Mais ce qui dominait en moi, c'est l'impression d'absurdité. Contre qui était-elle en grève ? Et que faut-il faire contre la surpopulation carcérale ?

Le manque de logement frappe le monde carcéral avec une beaucoup plus grande sévérité que le monde libre. Si l'on considère que les lois pénales répressives adoptées ces dernières années ont bien vocation à s'appliquer, alors on ne peut que constater qu’il manque plusieurs dizaines de milliers de places de prison en France. Après les détenus, les gardiens sont les premiers à subir les conséquences de cette incurie. Mais nous les subissons nous aussi, car si la fonction punitive de la prison peut sembler compatible avec cet état des choses (sur le mode du "bien fait pour eux !") la fonction asilaire, par contre, ne l’est nullement (on remet les gens dehors trop vite et on ne les y met pas assez), pour ne rien dire de la fonction de réinsertion... sauf à considérer l’apprentissage de la délinquance ou de l’islamisme radical comme un moyen de réinsertion.

Les gardiens de prison ont donc bien raison de faire grève pour pousser les représentants de la nation à prendre leurs responsabilités. Il n'y a sans doute pas de décision plus urgente à prendre en France que de lancer un très ambitieux plan de construction de prisons et/ou une réflexion sur la sous-traitance de la fonction carcérale au secteur privé (qui serait peut-être, là encore, plus efficace).

Je suis entièrement d'accord avec Agrippa : augmenter la sévérité des peines sans augmenter le nombre de places en prison est une stupidité.

Le premier facteur en cause n'est pas la sévérité des peines prononcées mais le nombres de faits. Nous avons une population carcérale à peu près équivalente à celle des années cinquante alors que le nombre de crimes et délits a été multiplié par huit : jamais on n'a aussi peu condamné à la prison, jamais on n'a relâché aussi facilement (pratiquement personne ne fait plus de la moitié de la peine prononcée et les amnisties rituelles permettent de se débarrasser de ce que l'on juge être un trop-plein).

"Comme tout le monde Christian a vu le spot publicitaire qui tourne en boucle à la télé pour tenter de recruter des surveillants. Il s'est dit "Pourquoi pas ?, après tout être fonctionnaire c'est avoir la sécurité de l'emploi. Il a vite déchanté : "Dans la pub ils parlent d'esprit d'équipe. Il est où l'esprit d'équipe quand vous vous retrouvez seul à un étage pour surveiller une centaine de détenus. Dès que vous ouvrez une cellule, le rapport de force est encore de trois contre un. La vérité c'est que les surveillants sont en permanence en infériorité et que les détenus sont chez eux. C'est un peu comme si vous rentriez dans leur cité."

Nice-Matin du jour.

Voilà un témoignage qui en dit long en quelques mots. C'est assez étonnant qu'on puisse lire dans la presse une telle stigmatisation des cités. On en apprend des choses dans Nice-Matin, dites-donc...

Sans doute faut-il augmenter le nombre de places de prison mais si on regarde les pays dans lesquels la population carcérale est proportionnellement beaucoup plus importante qu'en France (Etats-Unis, Afrique du Sud selon le Monde diplomatique) on n'est tout de même pas rassuré sur l'efficacité réelle d'une telle mesure en terme de protection de la paix urbaine et de la civilité.

Vous renversez l'ordre des choses. La prison ne crée pas la criminalité, c'est la criminalité qui crée la nécessité de la prison. Mais un niveau de criminalité étant donné, la prison la contient et tend à la faire reculer, à la fois par effet dissuasif et par enfermement de criminels qui, libres, continueraient leur carrière. Les États-Unis ont vu leur criminalité — qui a toujours été plus élevée qu'en Europe — s'envoler, comme partout, dans les années 1960 - 1980. L'enfermement de longue durée systématique après la seconde récidive appliqué ensuite l'a ramenée à des taux comparables à ceux de l'Europe occidentale.

Quant à l'Afrique du Sud, la criminalité — la plus forte du monde avec celles du Brésil et de la Colombie — y a explosé après l'effondrement du pouvoir en place du temps de l'apartheid.

Cela dit, la prison ne peut absolument rien contre l'incivilité, l'impolitesse, la petite barbarie quotidienne.

Pardonnez-moi, je me suis mal exprimé, je ne voulais pas dire que la prison crée la criminalité, cependant elle semble une digue bien fragile -population carcérale importante ou pas - contre la montée de tout ce qui nous horrifie. Je voulais donc simplement dire qu'avec la prison, nous ne sommes pas au coeur du problème.

Je ne suis pas capable de rerouver les chiffres exacts, mais je crois que de tous les pays occidentaux la France a la plus faible proportion de détenus.

Avec la prison, nous ne sommes peut-être pas au cœur du problème, sauf que la prison n'est jamais que la société elle-même et tout ce qui s'y agite, porté à la quintessence.

"...la petite barbarie quotidienne.", comme vous dites, monsieur Meyer ! Quel malheureux oxymore !

Bien chère Cassandre,


Voici quelques éléments en réponse à votre question :

[fr.wikipedia.org]

Bien cher Marcel,

Vous êtes bien entendu dans le vrai, la hausse des délits est la cause première de la surpopulation.

Notez d'ailleurs que le nombre de prisonniers a beaucoup augmenté en trente ans, de 40000 à 60000 :
[www.justice.gouv.fr]

A plus long terme, c'est un peu plus compliqué : il y avait déjà cinquante à soixante mille prisonniers dans les années 45-55. Puis leur nombre a diminué très nettement alors que, dans le même temps, avait lieu la grande augmentation (multiplication par huit) de la criminalité (au sens large du terme). Il n'est d'ailleurs pas interdit d'envisager, à titre d'hypothèse, que le premier phénomène n'ait pas été sans influence sur l'autre, même s'il ne suffit pas à l'expliquer. Puis, avec près de vingt ans de retard, cette envolée de la criminalité a produit un retour du nombre de prisonniers aux valeurs antérieures. Il faut se référer aux années cinquante, ce que les sociologues ne font presque jamais, comme élément de comparaison parce que c'est autour de 1960 que quelque chose de fondamental change.

Je pense qu'à cette époque étaient en prison beaucoup de personnes condamnées pour fait de collaboration.

Je vais vérifier cela.

Bien cher Marcel,

Je vous adresse ce document, un peu long mais très instructif.

[www.ined.fr]

En 1946, il y a avait à peu près 60000 détenus, dont 46 % pour faits de collaboration, soit un peu plus de 30000 pour autres causes.

L'étiage (20000 détenus) est atteint en 1957, année qui ne me paraît correspondre à aucun fait précis sur le chemin du désastre...