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Finkielkraut : « Il ne reste que le parti du sens du poil »

Envoyé par Gérard Rogemi 
Publié le 16/07/2009 - N°1922 Le Point

Le Point du 16 juillet 2009

L’été est le temps d’une réflexion apaisée, plus profonde, sur nous-mêmes, notre société et les forces politiques qui l’animent. Comme chaque année « Le Point » vous propose une série d’entretiens avec des intellectuels sur l’état de la France et de la vie politique, deux ans après l’élection de Nicolas Sarkozy. C’est le philosophe Alain Finkielkraut qui entame aujourd’hui cette série.

Finkielkraut : « Il ne reste que le parti du sens du poil »

Le philosophe, auteur d’un livre événement, « Un coeur intelligent »*, revient sur la burqa et le multiculturalisme.

Propos recueillis par Élisabeth Lévy

Le Point : A l’issue des élections européennes, la droite triomphe, mais avec 40 % des voix, tandis que la gauche est explosée façon puzzle. En même temps, on a l’impression que les clivages politiques se brouillent. Votre diagnostic ?

Alain Finkielkraut : Ce que j’observe avec un certain effroi, c’est la disparition progressive des réalités par rapport auxquelles, naguère, on pouvait se dire de droite ou de gauche : la nation, la culture, la langue, la civilisation même. Il y avait sur toutes ces choses un point de vue de droite ou un point de vue de gauche, mais qu’en est-il quand ces choses se dissolvent ? Malheureusement, la gauche actuelle, que ce soit dans sa version purement politique ou dans ses différentes versions intellectuelles, la molle et la radicale, croit bon de légitimer, voire de glorifier cette liquéfaction. Alors, je m’interroge : à quoi servent une action et une pensée politiques qui se contentent d’escorter les processus par lesquels nous sommes emportés ?

Ne seriez-vous pas vous-même emporté par votre caractère mélancolique et une certaine tendance à penser que « tout fout le camp » ?

Il y a quelques semaines, Télérama a publié une enquête très instructive sur la réalité des collèges. L’écrivain Robert Bober, auteur de « Quoi de neuf sur la guerre ? », était invité dans une classe du collège de Wazemmes, près de Lille. Il a montré des témoignages d’enfants juifs sous l’Occupation. L’image d’une femme aux cheveux blancs est apparue. Elle évoquait ses souvenirs de gamine échappant à une rafle et elle concluait : « A cette époque, les enfants n’étaient pas déportables. » Rires dans la classe. « Comment ils faisaient, t’imagines, ils n’avaient pas de portables ! » Et ce rire a duré toute la séance. Des portables au lieu de « déportables » et de toute l’histoire du monde : c’est cela, la disparition de l’essentiel. Et notre plus grande tâche politique est de faire face à cette situation.

Cela signifie-t-il que ce clivage n’a plus de sens et n’en aura plus ? Après tout, il reste deux camps qui se confrontent lors des élections.

Il reste peut-être deux camps, mais pas sur tous les sujets. La gauche et la droite ont rivalisé dans le culte du génie de Michael Jackson, l’artiste hors normes qui a repoussé les frontières du kitsch, et les services culturels des magazines de droite comme de gauche ont exigé toujours plus de place pour commenter hyperboliquement l’émotion planétaire qu’a provoquée sa mort. Pour ce qui est de la déculturation générale, il n’y a plus ni droite ni gauche, il n’y a qu’un seul parti : le Parti du sens du poil.

En somme, c’est la culture qui faisait de vous un homme de gauche et c’est la culture qui vous éloigne de la gauche ?

La grandeur démocratique de la gauche était de ne laisser personne à la porte : à la porte de la Cité, de la culture, de la beauté, à la porte de la langue elle-même. Mais maintenant, la gauche est, au mieux, indifférente au destin de ce qu’il y avait derrière la porte et, au pis, heureuse de voir s’effacer ces reliques du vieux monde.

Même les partisans de Nicolas Sarkozy ne pensent pas que sa première qualité est la distinction culturelle.

Sans doute peut-on dire que Nicolas Sarkozy est le premier président de la société postculturelle. Mais quand je vois des professeurs s’indigner de ses attaques répétées contre « La princesse de Clèves » et, en guise de protestation, lire des extraits de ce livre sur la place publique, je suis partagé. Depuis quelques années, en effet, on nous répète que l’enseignement du français doit d’abord former des citoyens et permettre à chacun d’acquérir l’autonomie dans le débat d’opinion. Or les personnages de « La princesse de Clèves » sont incurablement aristocratiques et leurs vertus citoyennes, nulles. De surcroît, plus on « plaçait l’élève au centre du système éducatif », plus on mettait à l’écart la trop lointaine princesse. Et les mêmes qui appliquaient avec zèle ces nouvelles directives dénoncent aujourd’hui l’inculture du chef de l’Etat. Ce n’est pas très logique. Si, cependant, l’antipathie de Nicolas Sarkozy pour le roman mystérieux du renoncement à l’amour conduit à sa réintroduction dans l’enseignement secondaire, je serai le premier à m’en réjouir.

Peut-être le score des Verts est-il de nature à vous rendre un peu plus optimiste, ou un peu moins pessimiste. Ne témoigne-t-il pas de ce souci du monde qui vous est si cher ?

Le score des écologistes et la prise en compte de la dimension écologique par tous les partis révèlent la nécessité d’un changement de paradigme : non plus changer, transformer, refaire le monde, mais l’épargner ou, comme disait déjà Camus, empêcher qu’il ne se défasse. Voilà qui oblige les libéraux et les progressistes que nous fûmes à une conversion politique et même existentielle. Nous nous pensions voués au dépassement perpétuel des limites. Voici que nous devons mettre des limites à notre avidité et à notre prométhéisme. Au fond, nous nous rendons compte que nous ne devons plus nous considérer seulement comme des titulaires de droits mais comme les obligés et les responsables du monde. C’est cela, le tournant écologique. Mais, d’un autre côté, je vois les écologistes eux-mêmes fustiger la loi dite Hadopi visant à protéger cette grande conquête, française d’ailleurs, qu’est le droit d’auteur et applaudir à une décision du Conseil constitutionnel qui érige l’accès à Internet et, à travers lui, la liberté de consommer en droit de l’homme. Dans le monde réel, nous sommes invités à nous limiter. Dans l’univers virtuel doit régner ce que les libéraux eux-mêmes redoutaient sous le nom de jus in omnia , c’est-à-dire le droit pour chacun de prendre, d’accaparer tout ce qui lui fait envie ou lui paraît utile. Dans un cas, on célèbre le ménagement ; dans l’autre, on acclame la prédation.

Dans les chassés-croisés idéologiques, la « réforme » est devenue l’un des chevaux de bataille de la droite tandis que la gauche la dénonce comme le prête-nom de la régression sociale. Faut-il réformer la France et est-elle « irréformable » ?

On peut porter au crédit de Sarkozy le refus de s’accommoder de cette situation. Il est aussi actif que ses deux prédécesseurs étaient inertes. Ce qui me paraît irréformable, malheureusement, c’est la politique au fil de l’eau de la culture et de l’éducation nationale. Il faudrait redonner forme à la culture en l’arrachant au fatras du culturel. Qui en aura le courage ? Il faudrait réintroduire l’exigence et l’expérience des belles choses dans l’enseignement. Au lieu de cela, un jeune espoir de l’UMP, Benoît Apparu, produit un rapport dans lequel il annonce triomphalement qu’il veut mettre toute l’école au régime des 35 heures, comme l’entreprise et le bureau, et cette idée effrayante fait tellement bonne impression qu’il est récompensé par un poste de secrétaire d’Etat. Alors, oui, hélas, là où plus que la réforme c’est le sursaut qui s’impose, je crois que rien n’est possible.

Les difficultés de l’intégration sont généralement traitées, par la droite et par la gauche, sous l’angle des discriminations contre lesquelles il faut lutter et de la diversité qu’il faut promouvoir. Le débat sur la burqa est-il un tournant ?

L’affaire de la burqa me paraît extrêmement révélatrice. On propose à nos sociétés un avenir multiculturel, et le grand paradoxe du multiculturalisme, c’est que toutes les cultures sont les bienvenues à l’exception d’une seule, la culture du pays hôte. Pour être authentiquement multiculturelle, pour accueillir la diversité comme il se doit, la France est tenue de ne plus être une nation substantielle, mais une nation procédurale simplement vouée à organiser la coexistence des communautés qui la composent. Les députés qui ont dit non à la burqa refusent cet avenir, et à mon avis ils ont raison. La France n’est pas seulement la patrie des droits de l’homme, c’est une terre de vieille civilisation. Au coeur de cette civilisation, il y a la mixité, une visibilité heureuse des femmes qui remonte à l’amour courtois et que nous devons absolument maintenir. Cessons de tout formuler dans l’idiome des droits de l’homme. Plutôt que d’opposer le langage des droits de la femme à celles qui revendiquent fièrement leur droit culturel à vivre dans un linceul, il faut leur opposer nos moeurs.

Seulement, les droits de l’homme nous ont appris que nous ne pouvions pas imposer notre culture aux peuples du monde entier.

Nous avons cru que notre civilisation était universelle. Le XXe siècle nous a contraints à renoncer à cette illusion. Nous savons que nous formons une civilisation particulière. Mais la modestie doit s’arrêter là. Elle ne saurait nous conduire à nous vider de notre être pour nous ouvrir à tous les vents de l’altérité. Cette civilisation particulière ou ce qui en reste et qui n’est pas grand-chose doit pouvoir continuer à régir la vie sur le territoire qu’elle a modelé.

*A paraître le 26 août (éditions Stock).
Alain Finkielkraut avait déjà dit l'essentiel de ce qui est ici reproduit, dans une émission de juin de France-Inter, que l'on peut entendre sur le blog du "Nouveau réactionnaire". Interrogé sur la mort de Mickaël Jackson, il répondait avec esprit que son sentiment d'inappartenance s'étendait pour le coup à l'humanité entière, qui semblait pleurer unanimement un héros qui ne lui était rien. " L'inappartenance à toute l'humanité, ça fait drôle", disait-il... On y entendra aussi quelques questions d'auditeurs, auxquelles il répond avec patience : à un Maghrébin qui l'accuse d'être indifférent aux massacres de Gaza, et à une "enseignante" sur La Princesse de Clèves...
» ... la nécessité d’un changement de paradigme : non plus changer, transformer, refaire le monde, mais l’épargner ou, comme disait déjà Camus, empêcher qu’il ne se défasse.

Quelqu'un sait-il, par hasard, d'où vient cette citation de Camus ? J'aimerais beaucoup le savoir...

Dans l'Homme révolté, peut-être ?
J'ai trouvé ! (Désolé, Agrippa, de vous souffler la réponse !) C'est dans son discours de réception du Nobel !

P.-S. On peut même écouter une partie du discours prononcé par l'auteur. D'entendre simplement sa façon de dire la langue, dans le contexte de cette référence (je veux dire à partir du propos de Finkielkraut), donne une image saisissante du chemin parcouru dans la déglingue...
Utilisateur anonyme
24 juillet 2009, 20:39   Re : Finkielkraut : « Il ne reste que le parti du sens du poil »
Bravo, je vois qu'on a fait des progrès en Googlisme.
Ce terme de "déglingue" ne convient pas. Camus, et la grande élite de cette époque qui possédaient cet accord sonnant entre l'esprit et la pensée et qui faisaient entendre l'esprit dans l'expression de la pensée, parlaient pour une infime partie de la population française, une frange infime qui débordait à peine le chiffre de population de leurs pairs. Ce que vous appelez "la déglingue" apparaît lorsque les masses, et l'expression des masses, trois quarts de siècle plus tard, à cause de la mise à plat de la parole de tous au même plan que celle de ces élites, s'emparent des micros et font fuser la non-expression, le bas-chaos, le boucan. Ce fossé n'existe plus puisqu'il n'y a plus d'élite et que tout vaut tout. Camusse, c'est cool eh! et oui. Camus il est cool, mais en 1952, Camus, pour les masses, c'était du chinois même pas cool figurez-vous. Tout ce que vous appelez "déglingue" n'est autre que le comblement du fossé qui séparait jadis la parole de l'élite du brouhaha et du babil des masses. La déglingue n'a pas eu lieu, ce que vous prenez pour elle n'est que l'effet du comblement des douves du château et leur terrassement et nivellement en parking à caravanes, et l'irruption subséquente des masses dans la cour d'honneur.

Il n'y a donc pas eu décadence (ou "déglingue"), simplement irruption du vieux et constant brouhaha plébéien qui désormais couvre et noie la parole et la pensée, lesquelles subsistent toutefois, dans quelque tréfonds, ou donjon, ou oubliettes, où elles ont fuit l'estrade, la cour d'honneur, occupées par les Bonnes et les Bons en tongs et shorts de week-end, le gobelet en plastique à la main, à demi-plein de mauvais vin rouge ou de pastis frelaté.
Utilisateur anonyme
24 juillet 2009, 22:43   Re : Finkielkraut : « Il ne reste que le parti du sens du poil »
Finkielkraut prend la pose. Finkielkraut ne fait plus que du Finkielkraut. Cette stigmatisation de son propre positionnement par rapport à l' "affaire Jackson" est tout bonnement ridicule. Se sentir hors de l'humanité parce que des milliers de gens à travers le monde pleurent la mort du "King of Pop"...
Finkielkraut vaut bien mieux que cette systématisation caricaturale de l'intellectuel qui pleure la fin d'un monde l'écharpe blanche au vent. Mais bon.
On sent que vous faîtes une allergie aux discours réactionnaires Cher Pascal, et vous avez raison d'apporter cette touche de suspicion à l'égard de la rengaine anti-moderne ! C'est peut-être un peu sévère pour Finkielkraut, cependant : fidèle à lui-même (et pas forcément singe de lui-même), il joue son rôle de mécontemporain avec ténacité et non sans esprit. Je ne crois pas qu'il surjoue lorsqu'il parle de M. Jackson : c'est l'expression honnête de son sentiment d'inappartenance au grand show de l'actualité.
Utilisateur anonyme
25 juillet 2009, 09:11   Re : Finkielkraut : « Il ne reste que le parti du sens du poil »
Oh mais non, Cher Olivier, je ne suis pas du tout allergique aux discours réactionnaires mais au contraire demandeur, quand ils sont de qualité !
D'ailleurs celui-là ne me paraît pas du tout réactionnaire, juste aigri, convenu, prévisible et parfaitement stérile.
Et puis, pour paraphraser Renaud Camus, c'est une querelle d'amoureux : j'aime trop Finkielkraut pour ne pas m'attendre à mieux que ces fades litanies. C'est tout.
Pascal, ce n'était qu'une boutade de sa part, comme vous le dit M. Olivier et comme on l'entend (mieux que sous forme écrite) dans l'enregistrement de l'émission. Le journaliste de France-Inter lui reprochait se s'enfermer dans un rôle de grincheux dépourvu d'humour.
Utilisateur anonyme
25 juillet 2009, 10:54   Re : Finkielkraut : « Il ne reste que le parti du sens du poil »
Une boutade un peu récurrente, tout de même. Mais ce n'est qu'un détail, allez...
Oui, c'est un détail. Il est toujours possible, lorsqu'on a le courage, comme lui, d'intervenir sur de nombreux sujets, face à des journalistes qui l'attendent au tournant et lui montrent assez souvent de l'hostilité, de tomber dans certains travers.
Alain Finkielkraut a une fois de plus montré, ce matin, face à ses deux interlocutrices, dans son émission consacrée à la Princesse de Clèves, qu'il savait lire...
Utilisateur anonyme
26 juillet 2009, 12:11   Re : Finkielkraut : « Il ne reste que le parti du sens du poil »
Tiens, Claude Habib, celle qui fut le taureau d'une jolie corrida sur le forum de la SLRC, il y a peu, parce qu'elle avait eu le malheur de faire un peu d'humour à propos de l'oeuvre de RC !

"Finkielkraut prend la pose. Finkielkraut ne fait plus que du Finkielkraut."

Rien que ça !!! Vraiment charmant, ce jugement tout ce qu'il y a de plus équilibré et charitable...
26 juillet 2009, 13:35   Sur le Président
Je note avec satisfaction que Monsieur Finkielkraut tient des propos fort raisonnables sur le Chef de l'Etat.
Utilisateur anonyme
26 juillet 2009, 13:36   Belles choses
Finkielkraut reste l'un des intellectuels les plus lucides pour comprendre le monde d'aujourd'hui. Il a raison de dire qu'il faut "réintroduire l’exigence et l’expérience des belles choses dans l’enseignement." Plus facile, toutefois, à dire qu'à faire, car le mal est profond.

"Pour plus de sûreté, et sous couleur d'une "sclérose" qu'il n'avait rien fait depuis 1959 pour guérir, Malraux ministre a froidement détruit en 1968 la souche-mère de la tradition européenne des arts, apparue en Italie au XVIème siècle et transportée à Paris au XVIIème siècle : d'un trait de plume, il a supprimé le système d'enseignement académique des Beaux-Arts (architecture, dessin, peinture, sculpture, gravure) et démembré ses trois anciennes instances, l'Académie des Beaux-Arts, l'Ecole des Beaux-Arts, l'Académie de France à Rome.
De cet ensemble, solidaire, Alain avait développé la philosophie dans son Système des Beaux-Arts, publié dans les années 1920. Au sein de ce "système", le Louvre (le musée en général) trouvait tout naturellement sa place et sa fonction principale, comme l'avait souhaité David, lors de la transformation du palais royal en Musée national en 1793 : contribuer à la formation des jeunes artistes et de leur futur public en leur offrant la suite des chefs d'oeuvre de chacun des arts. Cette pédagogie par l'exemple avait été intelligemment complétée en 1937, à l'intention des futurs architectes, par l'ouverture du musée des monuments français au palais de Chaillot, au voisinage du musée de l'Homme créé par Paul Rivet et l'École française d'ethnologie. Ce système avait encore montré sa fertilité lors de l'exposition universelle de 1937, à Paris, où une nouvelle version française de l'Art Déco s'était imposée, tant en architecture qu'en sculpture, en arts décoratifs qu'en peinture, faisant voisiner et même collaborer grands prix de Rome et artistes modernistes."
(...)
"A la place de cet organisme mûri au cours d'une longue histoire, et qui avait donné tant de maîtres et de chefs d'oeuvre à la France et au monde (notamment aux États-Unis, ses architectes et ses peintres les plus appréciés jusqu'en 1930), il n'a laissé qu'un désert, où une seule oasis bien irriguée par le dollar et par la publicité resta inventive : la haute couture, la mode, et leurs génies de l'éphémère."
(...)
" Il est arrivé au sombre Malraux ce qui est arrivé à ses anciens amis de jeunesse surréalistes, plus humoristes : il a légitilmé par le haut ce que le marché et ses technologies étaient en train de diffuser par le bas. (...) Mais comment ne pas voir que sa version durcie et tardive du modernisme, devenue académisme officiel, a frayé le terrain, au moins en France, pour le triomphe des "arts plastiques" dans l'enseignement et de l'"art contemporain" dans les salles de vente, les foires, les musées, les palais nationaux ? Réclamant "l'imagination au pouvoir", les enfants de Mai 68 qui le conspuèrent étaient en fait ses meilleurs disciples, rigolant de ses grands airs de mage pontifiant."

Marc Fumaroli
« Paris-New York et retour - Voyage dans les arts et les images - Journal 2007-2008 » (p. 420 à 425)
J'ai toujours pensé que Malraux était un tocard.
Utilisateur anonyme
26 juillet 2009, 15:55   Re : Finkielkraut : « Il ne reste que le parti du sens du poil »
A propos de Beaux-Arts, aviez-vous vu cet article du Monde ?

L'avis "conforme" des architectes des Bâtiments de France supprimé

L'avis des architectes des Bâtiments de France sur les permis de construire à l'intérieur des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysagé (Zppaup) ne sera plus que consultatif. Cette mesure a été adoptée, jeudi 23 juillet, dans le cadre de la loi Grenelle 1. Les deux Chambres, opposées sur le sujet, s'étaient finalement mises d'accord la veille en commission mixte paritaire. Cette mesure, qui supprime l'obligation d'un avis "conforme", avait soulevé un tollé dans les milieux du patrimoine lors de son annonce. Voté une première fois, le texte avait été censuré par le Conseil constitutionnel, le 12 février, pour un vice de forme. Les quelque 500 Zppaup, créées en 1983, visent à protéger les villes et villages particulièrement riches sur le plan patrimonial contre les dérives en matière de construction.
N. H.
Pour qui veut se convaincre que AF est l'un des meilleurs ironistes et qu'il est loin de manquer d'humour, je recommande "Le nouveau désordre amoureux", ou même "Le Juif imaginaire"...
J'aime bien ce qu'il dit de l'Inde...
Utilisateur anonyme
26 juillet 2009, 19:36   Re : Finkielkraut : « Il ne reste que le parti du sens du poil »
Si, en plus de Claude Habib et d'Alain Finkielkraut, Malraux est un "tocard", alors il ne reste plus qu'à vous faire la révérence...
26 juillet 2009, 21:30   Malraux
Sans dire que Malraux est un tocard, je pense qu'il s'agit d'un personnage pour le moins contestable. Bien cher Alain, je peux argumenter si vous souhaitez ouvrir un débat à ce propos.
26 juillet 2009, 21:44   Les nouveaux affirmateurs
Le "parti du sens du poil", l'accompagnement si approbateur, jusqu'à la sanctification, "des processus par lesquels nous sommes emportés", bref, cette adhésion si inconditionnelle au monde comme il va, n'est-ce pas précisément l'attitude tragique si hautement prônée par Nietzsche, d'acceptation, et toute acceptation est servile, de ce qu'il appelait le devenir ?
Je conçois que l'on puisse trouver ce rapprochement presque choquant, entre ce devenir-là, si somptueux, immensurable et indomptable, et la déliquescence actuelle, mais toute la pertinence et la force de l'attitude tragique ne tient-elle pas précisément dans la capacité à endurer le pire ?...
D'autant que dans cette volonté délibérée de coller au réel — le réel est ce qui advient —, donc d'être en la plus totale adéquation avec lui, se niche l'un des éléments les plus constitutifs du classicisme, comme mouvement de pensée : la recherche de l'accord parfait entre la représentation et son objet, dans la présentation sensible du vrai.
26 juillet 2009, 21:56   Re : Les nouveaux affirmateurs
Malraux n'est certainement pas un tocard, il y a de lui des pages inoubliables, mais c'est un demi-génie : quelque chose ne fonctionne pas.
Obi Wan écrivait:
-------------------------------------------------------

> ...
> L'avis "conforme" des architectes des Bâtiments de
> France supprimé
> ...

Quand on voit la défiguration actuelle des paysages, on peine à imaginer ce qu'il va en être désormais...
Ce que je dis de Malraux n'engage que moi. Cela peut paraître excessif mais j'assume. Je n'ai rien contre les autodidactes, certains poussent la curiosité jusqu'à réinventer une méthode, un esprit de synthèse que les universités sont sensées nous transmettre. Dans le cas de Malraux, il s'agit d'un esprit confus qui passe du coq à l'âne à tout bout de champ. Une sorte de romantique attardé qui a trouvé l'air mais qui court après les paroles. La culture comme incantation.
Pas d'accord, évidemment. Il y a une poésie tout à fait spécifique dans les Antimémoires, par exemple, et, encore une fois, ce qu'il dit de l'Inde (pour prendre un sujet auquel je suis particulièrement sensible), n'est vraiment pas "à côté de la plaque"... Et, pour moi en tout cas, cela "fonctionne" très bien.
27 juillet 2009, 10:03   Les nouveaux affirmateurs
Deux éléments me paraissent manquer dans l'intervention de M. Alain Eytan. Nietzsche fait intervenir aussi la notion de nihilisme dans sa pensée, et ne fait pas l'éloge inconditionnel du Oui à tout et à n'importe quoi. Les prophéties nietzschéennes de notre monde, celui du nihilisme, empêchent de qualifier ses adorateurs en pareils termes (affirmateurs, tragédie, etc). M. Eytan confond ensuite le classicisme avec un réalisme ("accord parfait entre la représentation et son objet"). Les classiques, quand ils affirment imiter la nature, ne disent pas qu'ils imitent ce qui est perceptible, le réel concret (sinon, les romans picaresques seraient classiques.) Les classiques nomment "nature" non ce qui est, mais ce qui doit être après correction par l'art, qui a un but moral essentiel. Que l'on se reporte à la préface qu'écrivit La Bruyère à ses Caractères, et l'on verra que s'il "rend au public ce qu'il [lui] a donné", lui tendant le miroir fidèle de ses moeurs, c'est pour seconder le prédicateur qui diffuse la morale évangélique parmi les hommes. Il n'y a pas de classicisme sans intention de modifier le donné pour en faire une véritable "nature", à savoir un idéal. Il n'y a donc rien de classique ni de tragique dans le suivisme contemporain.
Le suiviste, l'approbateur ne poussent à rien, pour la bonne et simple raison qu'ils n'ont nulle conscience que ce qu'ils suivent, tombe.

Le choix de pousser ou de retenir le monde dans sa chute peut devenir un choix philosophique à la condition première que la chute, dans sa radicale ampleur, soit correctement discernée et interprétée. Rien de tout cela chez le sanctificateur du "sens du poil". D'ailleurs, ce qui tombe, chute droit, s'abolit sans s'incliner dans une direction, n'indique dans sa chute aucun sens, aucune orientation particulière, ce qui s'accorde bien alors avec le nihilisme du pousseur.
28 juillet 2009, 01:51   Re : Les nouveaux affirmateurs
Merci de vos remarques, cher Monsieur Bès, qui me semblent fort justes.
Concernant Nietzsche, elles ne me semblent pas non plus infirmer le fond ce que j'ai moi-même écrit, sur un mode un peu ironique il est vrai.
La contradiction, ou à tout le moins la tension, entre affirmation tragique, et dénonciation du nihilisme, est à mes yeux inhérente à la pensée de Nietzsche lui-même, qui n'était certes pas homme à se laisser intimider par la logique :
Qu'est-ce que le tragique ? c'est l'acceptation de tout le réel, dont on ne retranche rien, c'est l'affirmation de l'économie globale de l'univers, celle qui justifie, et bien au-delà, les choses redoutables, mauvaises et équivoques.
Qu'est-ce que le nihilisme ? en fait c'est la fine bouche ; le tri dans ce qui advient, à proportion de l'état de faiblesse de l'homme qui opère ce choix selon ce qu'il peut endurer. C'est le péché d'entrave à la vie, de limitation, de condamnation, au nom de ridicules prérogatives de sensiblerie humaine.
Se pose alors la question, épineuse entre toutes, de savoir ce qu'est au juste la vie , et ce qui, dans le réel advenant comme devenir, peut être retranché, devenir qu'on nous a d'autre part objurgué de laisser en l'état.
C'est précisément la grande difficulté, à mes yeux du moins, de répondre à cette question, qui autorise à la fois mes propos, et vos remarques ?...

A "l'accord parfait entre la représentation et son objet", j'ai ajouté : "Dans la présentation sensible du vrai", qui me semble être l'essentiel. C'est ce vrai-là qui doit être l'objet de la représentation.
Je crois que l'on peut dire que le classicisme subordonne le beau au vrai ; l'imagination est toujours "la folle du logis", et l'activité de l'artiste réside dans la découverte, non dans l'invention. Que s'agit-il de découvrir ? Un Charles Batteux écrira qu'il faut dévoiler dans la nature foisonnante ce qui est essentiel, c'est à dire conforme à la raison, "ce qui en elle peut être conçu par l'esprit". Vous avez parfaitement raison de parler de "ce qui doit être", de modèle idéal, mais ce modèle-là est digne de représentation parce qu'il est l' essentiel précisément, le vrai qui constitue le fondement ultime de la réalité en tant que modèle, intelligible il est vrai.
Or c'est en ce point précis que la référence à Nietzsche comme auteur hyperclassique me semble être féconde : comment ne pas voir en lui l'épigone du classicisme original, quand il reconduit la question de la vérité dans et par l'esthétique ? Ne trouvez-vous pas qu'il y a là une analogie profonde, puisque dans les deux cas l'art se voit confier la tâche d'exprimer la vérité de façon sensible, c'est à dire de rendre compte de ce qui est ? Chez Nietzsche l'art est même la seule puissance capable de s'acquitter d'une telle mission, et ce par le moyen du "grand style" justement.
Le fait que la notion de "vérité" ait subi entretemps quelque changement ne me dérange pas outre mesure, je l'avoue : que "l'art soit la plus haute puissance du faux", cela veut dire que ce faux-là, pour Nietzsche, eh bien, c'est le vrai véritable : l'apparence perspective.
28 juillet 2009, 02:44   Clinamen
Vous êtes donc épicurien, cher Francis, et voudriez que seul ce qui dévie de la ligne droite, ce qui diverge, puisse fomenter un monde ?
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