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requête en étymologie

Envoyé par Bruno Chaouat 
07 août 2009, 20:52   requête en étymologie
Le mot "humanistae" peut-il être l'origine de "humaniste", au pluriel ? Je trouve cela dans un histoire de la littérature française, et j'en perds mon latin... "humanistae" peut-il vouloir dire "les humanistes" en latin ; et si oui, quel serait le nominatif singulier ? Merci de m'éclairer...
Le mot "humaniste" (nom ou adjectif) est attesté en français dans la seconde moitié du XVIe siècle (en 1580. Cf. TLF). Les spécialistes pensent qu'il est "de formation française", par adjonction du suffixe - iste à la base savante, celle du latin humanitas, le suffixe - iste se substituant au suffixe latin - itas. En latin (classique ou bas-latin), il existe l'adjectif humanus, a, um, le nom humanitas, l'adverbe humane, mais pas d'adjectif ou de nom humanistus ou humanista (pluriel, humanistae).

Il semble, en revanche, que le nom humanistae, pluriel, qui désigne les professeurs qui enseignaient les humanités dans les universités, ait été en usage dans le latin de la fin du Moyen Age (XVe siècle) et dans celui de la Renaissance. Fumaroli l'emploie pour désigner les anciens maîtres en langue et littérature grecque et latine. Il n'est pas le seul. Des auteurs d'ouvrages savants sur les bibliothèques de monastères (XVIe - XVIIIe s) recensent des ouvrages écrits par des "humanistae".
Il est donc possible (mais cela doit être vérifié - je ne dispose pas dans ma bibliothèque des documents et ouvrages grâce auxquels la vérification pourrait se faire) que, si ce mot "humanistae" du latin "moderne" (Moyen Age tardif et de la Renaissance) est attesté antérieurement à "humaniste", il en soit la matrice ou que humaniste soit le calque d'humanistae.

Cela, à mon sens, est secondaire. Le point essentiel, pour ce qui est du nom "humaniste", est le déplacement qui en a affecté le sens dans la seconde moitié du XIXe siècle : de personne versée dans l'étude et la connaissance des lettres antiques (langue et littérature grecque et romaine), ce qui a été le seul sens pendant des siècles, à individu bien intentionné (trop bien intentionné sans doute) qui veut à tout prix faire le bonheur de l'humanité, fût-ce malgré elle.

Vous avez posé à la fin du mois de juillet une question sur "maurassien". A mon sens, cet adjectif est vide de sens. Cet épouvantail ne sert qu'à disqualifier un adversaire, ce qui est d'autant plus aisé que, objectivement, la pensée de Maurras est insignifiante et que, depuis 1945, Maurras est du camp de vaincus de l'histoire, ayant été condamné à quelques années de prison et à l'indignité nationale. Qualifier de "maurrassien" un homme politique, issu d'une famille de résistants, dont le père a été un authentique combattant de la France libre, et qui est en partie l'héritier intellectuel de De Lattre de Tassigny, celui qui commandait les armées françaises "libres" en 1944-45, est un non-sens historique qui ne mérite même pas un haussement d'épaules.
Merci cher JGL, d'avoir pris le temps d'avoir répondu avec autant de précision. Toutes mes excuses pour mon amalgame ignorant (Villiers, Action Française), d'autant plus impardonnable que les auteurs de l'histoire de la littérature française dont je parle comparent Napoléon à Hitler ("reductio ad Hitlerum" caractérisée) et accusent le Moyen Age de "racisme" anti-musulman et de "sexisme" (anti-femmes, je suppose ?) C'est un ouvrage britannitque (ce qui explique peut-être l'hostilité à Napoléon, mais j'en doute fort) : parfois, on lit ce genre d'ouvrages en pensant à la façon dont quelques esprits forts lisaient les histoires littéraires ou les historiographies tout court en ex-Union Soviétique, récits qui tenaient tout ce qui précède la révolution comme obscurantiste, irrationnel, fanatique... Sauf que les auteurs écrivaient sous la tyrannie de la censure. Aujourd'hui, il semble que certains soient à eux-mêmes leur propre tyran... Peut-être est-ce cela, le politiquement correct...
Peut-�tre ceci pour pr�ciser les choses.
Je suis triste de lire sous la plume de JGL que la pensée maurrassienne est "insignifiante"; la pensée "sociale" de Maurras est comtienne, elle flirte avec le fourriérisme, sa prose est solide, enchanteresse, elle est soeur de celles de Péguy, de Taine, de Michelet:

Un exemple
J'ai mis en ligne ce message sans savoir ce qu'avait été, et en quoi exactement avait consisté, le happening de l'Action Française ("journal royaliste et anti-juif") à la Bourse du Travail de Paris le 3 août 1908. Je laisse cependant ce message en ligne, pour que chacun en soit juge, après l'Histoire. Maurras et sa prose souveraine, quoi qu'on en fasse ou qu'on en dise, ne méritent pas d'être oubliés. L'imbécile crut défendre la France -- et avec quel talent l'écrivain ne se complut-il pas dans cette illusion! Il mérite alors que l'Histoire (et la nation) ne le réduise pas à rien, ou à un simple imbécile. Sa plume mérite mieux que l'oubli ou le pilon idéologique des vainqueurs.
Mon Dieu, comme ces débats sont inextricables ! C'est comme pour Heidegger... grand penseur, et crapule, incidemment ? Qui sait ? Pouvez-vous trancher, Francis Marche ? Moi, pas.
... ne serait-ce que pour donner un sens intelligent à l'adjectif "maurrassien"...
09 août 2009, 17:30   Pensée insignifiante
Bien cher JGL,

Permettez-moi de ne pas partager votre analyse.

La pensée de Maurras fut tout sauf insignifiante..

Une chose reste mystérieuse pour moi : comment ce nationaliste n'avait-il pu ne pas voir que c'est la France républicaine qui avait gagné la Grande guerre, cette France des instituteurs ? comment ne vit-il pas qu'il se faisait le fourrier de l'ennemi ?

Je repense à ce vieux gentilhomme du midi qui se rallia à la République le 14 juillet 1919. La veille de ce jour, il réunit sa famille et ses serviteurs et, se tournant vers ses enfants, il leur dit : "demain, je me rendrai aux cérémonies du 14 juillet, je le dois à votre frère et à ceux qui sont morts avec lui."
Voici un autre texte de Maurras récemment mis en ligne dans la "réacosphère" à propose de l'inauguration de la grande mosquée de Paris.
"Grand penseur" : je m'étonne encore qu'on puisse élever le moindre doute à ce sujet. Héros, non pas, mais crapule non plus. Un certain auteur opportuniste qui en fait un parangon de l'hitlérisme en philosophie, oui, pour moi, est une crapule. Du reste, j'ai observé que les gens qui dénigrent Heidegger tentent presque toujours de se donner une bonne raison d'en faire l'économie.
09 août 2009, 17:38   Heidegger
Bien cher Bernard,

Je ne pense pas que Bruno dise qu'il n'était pas un grand penseur.

A propos de cette période, je vous conseille l'intéressant "La vie mondaine sous le nazisme" de Fabrice d'Almeida, professeur à Panthéon-Assas. L'épisode relatif à Richard Strauss est des plus intructifs.
09 août 2009, 17:41   Re : Heidegger
» Je ne pense pas que Bruno dise qu'il n'était pas un grand penseur.

Si j'avais pensé que Bruno disait positivement cela, mon message serait vraiment grossier...
09 août 2009, 17:44   Re : Heidegger
On peut aussi lire Hannah Arendt, plutôt que l'auteur douteux auquel je faisais allusion...
09 août 2009, 17:47   Hannag Arendt
C'est exactement ce que j'allais proposer.

Par ailleurs, à quel auteur faites-vous allusion ?
09 août 2009, 19:26   Re : Hannag Arendt
Un certain Faye, dont le prénom d'« Emmanuel » me reste dans la gorge. Il y eut un débat fameux, il y a deux ans, entre Fédier et lui, dans l'émission de ce faux-cul d'El Kabbach (Bibliothèque Médicis sur LCP)...
Avez-vous lu le Faye en entier ?
Par ailleurs, François Rastier n'est pas précisément ce que j'appellerais un imposteur. Lisez ce qu'il a écrit sur Heidegger, qui abonde dans le sens de Faye.
Non bien sûr, il m'est impossible de trancher, comme il est probablement impossible à quiconque de le faire aujourd'hui. Je lis, un peu en diagonale il est vrai, un essai intitulé "Sur l'être" qui montre comment Heidegger lui-même s'employa à hypostasier l'être pour mieux le scinder, comme afin de mieux scinder en lui la crapule nazi et le philosophe, étrangers l'un à l'autre. Il faut prêter à cet homme une grande clairvoyance qui lui interdisait d'être la dupe d'aucune contradiction: traversé par sa contradiction, il la surmonte en scindant l'être, pas moins.

Cet essai, dont la haute tenue surprend chez Umberto Eco (il s'agit tout de même d'une tentative de synthèse sur la question de l'être) ouvre la série de ceux qui composent le volume Kant et l'ornithorynque paru il y a 12 ans déjà, mais que je recommande.
Nous ne lisons pas les même chose sous les mêmes mots. Eco, qui a lu Heidegger, en parle avec beaucoup de respect...
J'ai lu Heidegger. Pas la biographie de Heidegger, ni de la littérature sur Heidegger, mais la philosophie de Heidegger, contre laquelle les roquets cherchant à faire un "coup" ne peuvent rien. Pour la biographie, je donne plutôt ma confiance à un Fédier, l'interlocuteur de Faye dans cette fameuse et sinistre émission (que l'on doit encore pouvoir trouver sur le Web). Sinon, il y a une bibliographie intéressante sur Wikipedia.
Utilisateur anonyme
10 août 2009, 17:07   Re : requête en étymologie
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Vous avez dû mal me lire, cher Bernard. Ce que je dis de l'essai de Eco est tout à l'honneur de ce dernier autant que de Heidegger. J'ai aussi lu Heidegger, insuffisamment sans doute et sans assimiler ses écrits comme je le voudrais, mais tout de même; ce que j'avance sur l'être scindé, scission que Heidegger, d'après Eco qui a sans doute raison, ne savait possible que dans et par la langue allemande, est une hypothèse, peut-être hasardeuse et qui vaut ce qu'elle vaut, mais que je ne vois aucune raison de m'interdire à priori. Je demeure avide de recueillir votre opinion sur la question, comme vous vous en doutez.
Mais vous imaginez que Faye ou Rastier n'ont pas lu Heidegger ? "roquet", imposteur, "peu recommandable"... vraiment ? Et Heidegger, lui, fut un homme très recommandable...
Les mots de "crapule nazi", tout de même... Heidegger est passionnant quand il parle de son propos essentiel : le chemin qu'a pris la philosophie après Socrate, la question de l'Être, son oubli (car l'on en a fait un simple concept) et toutes ses conséquence (question de la technique, etc.). Pour le reste, c'est un homme comme tout homme, les pieds dans son époque et ses profonds courants. La langue allemande a évidemment, et éminemment, des vertus propres, exploitables en philosophie, et Heidegger en fait une belle démonstration. Mais ne peut-on pas dire la même chose du grec, du sanskrit ou du français ? N'avez-vous pas un faible pour votre langue maternelle ? Heidegger a vu quelque chose d'essentiel, il essaie d'en rendre compte. Une fameuse philosophe juive, qui le connaissait de très près, ne s'y est pas trompée. Tant pis pour ceux qui préfèrent suivre les crieurs au scandale. Il y eut de petites lâchetés, que l'on a beau jeu de stigmatiser après coup, je n'en doute pas, et aussi de petits actes courageux, que notre époque est plus encline à oublier. Que savait-on de Hitler en 1926 (Sein und Zeit) ? Qu'est-ce qui est le plus important ?
Je maintiens qu'Heidegger fut une crapule nazie, oui. Et que j'admire beaucoup de ses textes. Qu'y puis-je ? La position la plus intelligente sur lui est celle de son disciple Levinas : Heidegger aura fait entendre le mot "être" dans sa verbalité, dit-il en substance, et cette éducation de notre oreille est inoubliable. Toujours est-il qu'il regrette de l'avoir suivi plutôt que Cassirer au colloque de Davos (fin des années vingt), et qu'il "n'oubliera jamais Heidegger dans son rapport à Hitler." Il n'empêche : Faye ou Rastier ont épluché les textes de 33 à 35. J'admets que leur herméneutique peut paraître un rien obsidionale, mais il y a des textes absolument sans ambiguïté dans la crapulerie. Le livre de Mark Lilla "The Reckless Mind" n'est pas mal non plus, sur les tentations des plus brillants esprits pour les formes politiques criminelles. Quant aux propos de Heidegger sur les chambres à gaz (je pense à ceux sur l'agriculture motorisée), il s'agit de relativisme négationniste : l'usine à fabriquer des cadavres ne se distingue pas "quant à son essence" de l'usine à petits pois... mouais....
» A ce petit jeu, avez-vous lu en vis-à-vis "Heidegger, à plus forte raison"

J'allais le dire, cher Didier.

Et puis, on peut admirer (Θαυμάζω, terme platonicien, admirer avec étonnement) un homme dans ce qu'il a de grand, ce qui est déjà proche de l'esprit philosophique. Ce qui ne me semble guère compatible, en revanche, avec l'esprit philosophique, c'est le profil du... comment dit-on en bon français ? fouilleur de m...
Il ne s'agit pas de jouer les flics ou les fouille-merde de l'histoire des idées, cher Monsieur Lombart. Il ne s'agit pas non plus de nazifier x ou y avant la lettre, comme cela fut fait ici ou là pour Péguy et tant d'autres. Mais si vous prenez Heidegger au sérieux, comment pouvez-vous douter que son engagement fût philosophiquement sérieux, puisque c'est lui qui le dit--si sérieux fut son engagement qu'il fut même un grand déçu du nazisme, lequel ne sut se montrer à la hauteur de sa mission ? Et comment voulez-vous, dès lors, le séparer, cet engagement, de sa pensée ? Comment pouvez-vous le réduire à de l'opportunisme ? C'est montrer bien peu d'égard à Heidegger. Par ailleurs, un philosophe n'est pas un écrivain (il est censé proposer une éthique, sinon théorique, du moins une pratique de la vie qu'un disciple puisse avoir envie de suivre : si vous me l'accordez, Heidegger ne fut pas un philosophe, mais au mieux un brillant rhapsode, au pire un idéologue).
» si vous me l'accordez, Heidegger ne fut pas un philosophe, mais au mieux un brillant rhapsode, au pire un idéologue

Eh bien, voilà que Heidegger n'est même plus un philosophe... J'ai dû rêver en le lisant, c'est sûr... Je ne suis pas le seul, cela me rassure un peu... Même Lévinas, que vous citiez, s'y est trompé !

Remarquez, on peut aussi, comme Jankélévitch, ne plus lire une seule ligne d'allemand – pour quelqu'un qui a fait une thèse sur Shelling, c'est tout de même quelque chose !... (Je ne lui jette pas la pierre, il avait ses raisons, mais elles ne sont heureusement pas celles de tous...)
Il y a des coquilles dans mon message précédent qui nuisent à sa compréhension, pardonnez-moi, cher Monsieur Lombart, d'avoir écrit trop vite et bien mal. Je continue à admirer bien des méditations de Heidegger, et à le trouver plus brillant rhapsode qu'idéologue, mais aussi que philosophe, voilà tout. Mais je suis, contrairement à vous, prêt à entendre, sans m'indigner ni m'offusquer, ni le prendre aussi personnellement, ceux qui allèguent et démontrent (parfois non sans une impressionnante rigueur) qu'il fut un idéologue, ou, comme disait Lyotard, heideggérien lui-même, l'ultime avatar d'un siècle et demi d'irrationalisme allemand, que la philosophie allemande d'après-guerre allait s'empresser d'oublier, tandis que les Français ayant, eux, suivi avec Heidegger la grande entreprise de Destruktion de la métaphysique, devraient trouver des accommodements. Accommodements, en effet, qui expliquent, par exemple, qu'on ait expurgé des traductions--notamment, et ce n'est pas anecdotique, les fameuses phrases sur la fabrication de cadavres, de la traduction française de la conférence sur la technique. Car on savait bien que ç'aurait été un peu gênant. Il fallait accommoder la France, dont l'intelligentsia avait tant investi en Nietzsche et Heidegger...
» Mais je suis, contrairement à vous (...)

C'est bon, je sors.
Nous ferions mieux de nous parler par email ou téléphone, plutôt que d'enchaîner des malentendus blessants...
Utilisateur anonyme
11 août 2009, 06:43   Re : requête en étymologie
(Message supprimé à la demande de son auteur)
11 août 2009, 22:24   Re : requête en étymologie
» si sérieux fut son engagement qu'il fut même un grand déçu du nazisme, lequel ne sut se montrer à la hauteur de sa mission

Cela impliquerait, cher Bruno, que le régime nazi ne fût pas l'expression adéquate de ce qu'était véritablement le nazisme. Pour ma part, j'identifie parfaitement le régime et ses actes à l'idéologie, laquelle n'en est que le récapitulatif et l'énoncé.
A mon sens, la franche "crapule nazie" est le nazi officiel, qui fait corps au Parti, qui suinte l'adhésion à la cause et tient ses présupposés pour des nécessités indiscutables.
Je trouve que ce sont justement ces tentatives initiales de rapprochement, ces pas de danses grotesques, de l'adhésion au Parti et la nomination au Rectorat, cette Dummheit inaugurale, de l'aveu même de Heidegger, qui constituent le révélateur de l'incompatibilité foncière, essentielle, entre ce dernier et sa pensée, et ce qui ressortit au nazisme en tant quel, par leur brièveté et leur échec retentissant.
Une crapule nazie serait restée et aurait prospéré.
11 août 2009, 23:27   Schlimazel
Ce mot New-yorkais me revient à la lecture du message d'Alain.

A bien y réfléchir, bien cher Bruno, je crois qu'Alain a raison, cette Dummheit pose question, comme celle de Strauss.

Was nützt mir meine Weisheit, wenn die Dummheit regiert ?
"Pour ma part, j'identifie parfaitement le régime et ses actes à l'idéologie, laquelle n'en est que le récapitulatif et l'énoncé."

Oui. Il n'y a pas de nazis modérés (pas plus, d'ailleurs, que de talibans de même qualification, comme on l'entend dans la bouche de M. Kouchner.)



"Une crapule nazie serait restée et aurait prospéré."

Sans doute, mais il faut bien dire que, s'agissant d'intellectuels d'un certain niveau, l'absence de prospérité innocente bien souvent et comme automatiquement de toute crapulerie.
12 août 2009, 01:20   Re : requête en étymologie
Il n'y a pas eu d'identité, d'adéquation parfaite entre le régime et l'idéologie, il s'en faut. A supposer que l'idéologie ait été cohérente, ce qui n'est pas toujours le cas, l'exercice du pouvoir a entraîné de nombreux aménagements et compromis, notamment dans le domaine de la religion, où il fallut tâcher d'établir un modus vivendi avec les Eglises, et dans celui de l'économie où un autre ensemble de compromis a été cahin-caha mis en place avec la bourgeoisie capitaliste. Il fallut aussi parfois mettre une sourdine à l'hostilité envers l'aristocratie prussienne (mais là, l'idéologie a davantage triomphé). D'autre part, il y eut constamment doublon et souvent incohérence et concurrence entre la hiérarchie administrative et celle du parti.
12 août 2009, 08:24   Re : requête en étymologie
Mais enfin, il n'y pas d'idéologie nazie autre que celle du parti nazi, idéologie qui s'est exprimée dans la politique du régime nazi ?...
Que celui-ci n'ait pu réaliser absolument tous ses objectifs, j'entends bien, mais il n'en reste pas moins que le nazisme n'est rien d'autre que le programme politique du parti nazi, et que tout ce qui en fut jamais mis en œuvre, du nazisme (et c'était quand même l'essentiel), ne le fut que par ce parti au pouvoir.
12 août 2009, 08:44   Re : requête en étymologie
"Sans doute, mais il faut bien dire que, s'agissant d'intellectuels d'un certain niveau, l'absence de prospérité innocente bien souvent et comme automatiquement de toute crapulerie."

Certainement. Je crois cependant qu'en ce qui concerne Heidegger, son absence de prospérité n'aurait pu fallacieusement l'innocenter que s'il était resté.
Dernière intervention, pour rétablir les faits : Heidegger est resté jusqu'en 1945.
12 août 2009, 21:10   Re : requête en étymologie
"Rester", c'est à dire ne pas se démettre de ses fonctions de recteur, rester dans les bonnes grâces des dignitaires nazis, d'un Ernst krieck par exemple, franche figure de la crapule nazie celui-là, et soutenir ouvertement et activement la politique nazie.
Oui, il a continué d'enseigner, pratiquement sous surveillance, critiquant presque ouvertement le régime, d'après le témoignage de nombre de ses élèves.
Non, il n'a pas résilié son inscription au parti ; Heidegger n'était probablement pas de cette sorte de héros là.
J'ai placé deux liens intéressants à ce sujet dans un autre fil.
13 août 2009, 19:23   Re : requête en étymologie
Merci pour ces liens, qui sont en effet passionnants.
Permettez-moi, alors, de rapporter cette anecdote, que l'on trouve dans le livre de Taminiaux, et qui, à mon humble avis, illustre bien la question (la propension du philosophe à vouloir régenter la cité, et ce, au moins, depuis Platon). – S'il fut un espoir de Heidegger, recteur d'université démissionnaire sous le régime nazi, et critique vis à vis de cette idéologie, c'est certainement celui-là... Ce n'est pas une raison pour ne pas lire Platon...

« L'événement se produisit au cours d'une séance du dernier séminaire de Heidegger auquel j'avais été invité en 1973. Heidegger traitait du Gestell et de son contraste avec l'Ereignis. Sa méditation était d'une grande intensité. Elle évoquait des thèmes tels que la Technique, Habiter, la Gelassenheit. Les participants - cinq francophones - étaient tous emportés par le « vent de la pensée ». Heidegger était en dialogue avec lui-même, devant nous, son regard était ailleurs. Mais soudain, il sortit de sa retraite et revint parmi nous. Et voici ce qu'il dit d'une voix ferme : « Le tourisme devrait être interdit. » Sur le moment, personne ne sourit. Nous étions tous sous le coup de l'intensité de son monologue. Pour ma part, j'étais tout prêt à admettre que le tourisme est bien en effet une des modalités contemporaines du Gestell comme arraisonnement généralisé de l'étant et mise en images du monde. Mais de là à conclure qu'il faudrait l'interdire, voilà une inférence qui me semblait trahir un changement de registre et faire basculer la pensée méditante dans un décisionnisme despotique. De retour à mon hôtel en compagnie d'un des participants, je ne pus m'empêcher d'ironiser : « Qui va promulguer cette prohibition du tourisme ? Comment s'accorde-t-elle avec la Gelassenheit ? N'est-ce point là proclamation d'un nationalisme pur et dur ? Ne se rend-il pas compte que, sans les installations touristiques de la ville de Fribourg, nous n'aurions même pas pu assister à son séminaire ? » Relisant peu après le Projet de paix perpétuelle - texte « ironique », comme le relève Arendt -, je ne pus m'empêcher d'accorder à Kant, contre Heidegger, que le droit de visiter les pays étrangers et d'y séjourner temporairement appartient à tout citoyen du monde.

Bien plus tard, à la réflexion, l'incident contribua à me convaincre de la justesse de l'ironie de La Vie de l'esprit à l'égard des penseurs professionnels. »

Jacques Taminiaux, La fille de Thrace et le penseur professionnel,
Arendt et Heidegger
, Plon, 1992, pp.37-38.
La Vie de l'esprit fait évidemment allusion au livre de Hannah Arendt.
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