Avatar, un film gobinien et post-humaniste.
L'actualité des derniers jours m'ayant amené à faire quelques recherches sur racisme et antiracisme, je me suis intéressé quelque temps au Comte de Gobineau tenu par beaucoup pour être l'un des pères des théories racistes qui ont mené le monde à la barbarie nazi. La réalité est évidemment plus complexe que ne le suggère l'étiquette qu'on lui accole.
Si j'en crois ce que j'ai glané sur Internet, sa thèse centrale se résume ainsi (trouvé sur Wikipedia mais aussi sur d'autres pages) : "
Il y est établi qu'aucune civilisation réelle ne peut naître sans l'initiative d'un peuple de race blanche." (dans son Essai sur l'inégalité des races humaines). Avant de dire cela dans une quelconque émission de télévision, appliquez le principe de précaution : appelez votre avocat et louez les services d'un garde du corps .
J'ai eu l'idée de me servir de cette affirmation, en dehors de tout jugement, comme grille de lecture du film Avatar.
Quelles sont les forces en présence dans ce film ? D'un côté, des terriens exploitant un mystérieux minerai sur une planète exotique et protégés par des mercenaires (plus que des militaires) ; de l'autre, une civilisation extraterrestre mystico-écologiste, représentée par une de ses tribus. Chacun vit de son côté et les grands bleus nous sont d'abord présentés comme étant assez chatouilleux, n'hésitant pas à décocher quelques flèches quand on les serre de trop près ; un message du genre : "Casse-toi, pauvre c…".
Les terriens sont représentés par trois groupes : les civils exploitant le minerai, les militaires chargés de la protection, et les scientifiques aux intérêts forcément plus nobles.
Jake Sully (sully, du français "souiller"), le héros, appartient au groupe des militaires mais passe bientôt à celui des scientifiques, comme il passera de celui des terriens à celui des indigènes (traitement en miroir et progression parallèle).
Le conflit entre les deux races (plus qu'entre deux espèces pour des raisons visuelles) naît quand les terriens décident de déloger nos sympathiques innocents de leur demeure ancestrale pour de viles raisons d'intérêt. Remarquons tout de suite que le film ne raconte pas la victoire des Bleus sur les Blancs, d'une civilisation pacifiste sur une belliqueuse (thème de nombreux livres de science-fiction).
Que manque-t-il aux grands bleus pour faire face à la destruction annoncée de leur civilisation ? Justement ce que va leur apporter l'avatar, corps d'indigène mais esprit de terrien, à savoir l'unité des tribus, un minimum de stratégie, et même un degré supérieur de fusion avec maman nature qui, se rangeant aux arguments du héros, va intervenir pour la première fois dans le conflit.
Et le héros est blanc ! Faites l'expérience mentale de le remplacer par un représentant d'une minorité visible — extraordinaire cette expression, non ? Gobineau discriminait le monde en trois races (blanche, jaune et noire, "des archétypes qu'il reconnaît lui-même pour hypothétiques"), nous en sommes désormais à deux (blanche et non-blanche) ! Allez ! Encore un petit effort et nous arriverons bien à la race pure, visée inconsciente de nombreux antiracistes.
Sans l'initiative du héros, que seraient devenus nos grands dadais ? Histoire.
Un film doit toujours être analysé sous ses aspects dramatiques (l'action) et thématiques (le sens). Les différents thèmes ne pouvant être exprimés que par des péripéties où ils s'impriment en creux, c'est dans l'enchaînement des actions qu'on les décèle : Avatar affirme que le salut vient de l'esprit terrien (blanc) du héros. Avatar - Gobineau même combat ?
Le récit de cette nouvelle guerre indienne se retrouvait, comme tous ses prédécesseurs, devant le même problème : et s'il venait à l'esprit des spectateurs (et dieu sait qu'ils l'ont mauvais) que le héros était un traître ? Mauvais pour les entrées ! Que faire ? Utiliser la vieille ficelle qui consiste à scinder le problème en deux, puis résoudre le plus évident dans un temps faible du récit ("trahison" par Sully des militaires) et enfin le cacher au dernier temps fort (la fin). Il y a belle lurette que le héros est devenu son avatar, qu'il n'y a plus de conflit possible par son image ; mais il faut faire mieux : nous faire désirer pour le héros son passage définitif dans l'autre camp. Trait de génie des scénaristes, le coup de la paraplégie. N'avons-nous pas vu la joie de Sully la première fois qu'il habite son nouveau corps ? Que voudrions-nous qu'il lui arrive en toute fin ? Qu'il retrouve ses jambes… et batifole avec la jolie petite grande bleue. Imaginez un instant qu'il soit resté humain. Vous avez oublié quoi à ce moment-là ?
Qu'est-ce qu'ils ont donc de plus ces indigènes pour nous faire désirer devenir l'un d'eux ? Ils vivent à poil dans de beaux paysages ; ils s'excusent auprès de leur bifteck ; ils ont une grande queue ? On en avait une jadis, on l'a perdu, on ne s'en porte pas plus mal. Alors quoi ? Oui, mais c'est bien sûr ! Une tresse USB (version 66.6 ?) qui leur permet d'être les animaux qu'ils montent, de communiquer avec mère nature et même avec les morts ! Internet garanti cent pour cent bio ! Ce ne sont pas des humains version paléolithique mais bien des post-humains, notre avenir réconcilié avec le développement durable.
Et sans nous, enfin les meilleurs d'entre nous, rien de tout cela n'était possible. Gobinien ?
Alors, Avatar une oeuvre sur la culpabilité de l'homme blanc ? Les années 70, 80 furent, pour quelques films, celles de la désillusion, un moment où nous avons posé un regard désabusé sur notre passé - les guerres indiennes, la colonisation, etc. mais nous nous sommes vite repris. Gobinien nous étions, gobinien nous sommes restés. Reconnaître haut et fort les erreurs de nos ancêtres n'est pas un prix trop cher à payer : ce n'était pas nous, on s'en trouve même plus fort que… nous. Droits de l'Homme, Démocratie, Marché est notre nouvelle devise ; ne garantie-t-elle pas la liberté, l'égalité, la fraternité ? N'est-ce pas ce que nous désirons apporter au reste du monde pour parachever leurs civilisations ? Sans nous, les pauvres...
Je ne suis pas certain que ce point de vue plaise à tout le monde. Ce n'est qu'un innocent exercice. Il doit bien y avoir un bon vieux gros débat quelque part qui cause de ça ; courons-y vite, j'ai entendu dire que le montant de la participation au pot citoyen était des plus raisonnable.