L'Etat-nation tel que nous le comprenons me semble trouver sa pleine définition dans la pensée du Président Wilson, cet imbécile ignorant la réalité linguistique et nationale européenne, qui exigea en 1918 que chaque nation se voit offrir un Etat, chose impossible dans le cas où les nations sont imbriquées les unes dans les autres, et chose que beaucoup de nations ne pourraient jamais obtenir : si les Bretons sont une nation, ils sont aussi partie prenante de la nation française.
La nation se définit différemment selon qu'on est slave ou germain (définition linguistique) ou latin (définition moins linguistique que politique, même si elle reste un peu linguistique). Les Italiens se sont dits une nation très tôt alors qu'ils parlaient des variétés très différentes de langue romane - Dante le constate déjà dans le
De vulgari eloquentia. En France, la majeure partie de la population ne parlait pas, ou parlait très mal le français jusqu'à la Première Guerre Mondiale, et les langues régionales ont vraiment commencé à décliner, à cesser de se faire entendre dans les rues des villes et les villages après la Seconde Guerre Mondiale, ce qui signifie que notre nation était alors politique et non linguistique.
La grande difficulté du débat sur "l'identité nationale", c'est qu'il confondait beaucoup de choses. Le royaume de France est très ancien, son peuple l'est aussi, mais la nation française est née avec la première Assemblée constituante et la victoire de Valmy - au moins symboliquement. Cette naissance fut un acte politique se souciant fort peu de l'adhésion réelle des populations, surtout celles qui étaient un peu loin de Paris - cf. la Vendée, mais aussi le Pays Basque, le Béarn et tant d'autres Pays d'Etat.
L'idée sioniste repose sur une définition germanique de la nation. Les Juifs (avec "j" majuscule, car il s'agit d'une nation) étaient considérés et se considérèrent comme une nation dans l'Europe centrale et de l'Est, où ils étaient présents au sein de trois empires au moins (Allemagne, Autriche-Hongrie et Russie), parce qu'ils avaient le yiddish comme langue. Considérant eux-mêmes que cette langue était un allemand dégénéré, ils éprouvèrent le désir de redonner à l'hébreu un usage quotidien (il était toujours en usage, mais uniquement pour les prières et la lecture des textes sacrés (Torah, Mishna)). Que ce soit le yiddish ou l'hébreu, c'est la langue qui permit aux populations juives dont l'histoire des siècles précédents avait été assez différentes - si on excepte des persécutions généralement comparables.
Il est probable que sans la résurrection de l'hébreu, la nation israélienne aurait du mal a existé. Et elle est menacé à chaque nouvelle vague importante d'immigration qui crée de nouvelles tensions. Ainsi, ces vingt dernières années l'afflux d'immigrants russes, dont beaucoup ont désormais leurs journaux, leurs quartiers et leurs représentants, a contribué à créer de nouvelles tensions dans la société et la nation israélienne, car ils parlent mal et refusent d'apprendre l'hébreu, pour une partie d'entre eux.
Or, dès lors que la nation israélienne se morcelle, c'est potentiellement l'Etat qui est menacé. Dans le projet d'Israel, il s'agissait de donner un Etat (et une terre) à une nation qui était déjà constituée. Celle-ci a évolué avec l'arrivée de nouvelles communautés. La base de cette nation est germanique (une langue et un passé commun), mais c'est aussi une nation au sens de Renan, car c'est le projet commun, la volonté commune de bâtir et de défendre un Etat, qui définit désormais aussi Israël comme une nation.