En ce qui concerne Michel Rocard, le coup de balai souhaité par M. Petit-Détour a déjà fait son office. Ce n'est plus qu'un politicien au rencart, pas désagréable d'ailleurs, tout comme Alain Juppé. Comme hommes, comme intelligences, ils ne sont pas les spécimens les plus accablants du personnel politique.
Alain Finkielkraut a eu le courage d'introduire la question, apparemment secondaire, de la généralisation de l'emploi des prénoms en politique comme ailleurs, et de la disqualification du nom patronymique (porteur d'un passé, d'un patrimoine)
qui en résulte. Il est d'une part très souhaitable de poser à ces hommes politiques des questions auxquelles ils ne s'attendent pas du tout, car pour le reste leur discours est parfaitement rodé, sans la moindre faille. Mais surtout, c'est rendre une fois de plus un hommage indirect (puisqu'il n'a pas été cité) à Renaud Camus qui est certainement le premier, et le seul, à avoir stigmatisé l'emploi envahissant du prénom et à en avoir tiré toutes les conséquences sur l'état de notre société et sur son avenir prévisible.
Plongé dans la lecture de Krakmo, je ressens avec douleur et incompréhension les passages, devenus fréquents, où Renaud Camus semble déplorer que le statut de "grantécrivain", auquel il aspire dès l'enfance, lui soit obstinément refusé.
De mon côté, je crois que le grand écrivain est celui qui perçoit et nomme, le premier, "les frissons nouveaux", dans tous les domaines, individuels comme collectifs. Pour avoir défini les concepts de bathmologie, d'in-nocence, de grand remplacement, Renaud Camus est évidemment un grand écrivain et un grand penseur. Mais j'avouerai que je n'inclus
pas les "grandeurs d'établissement" dans mon idée du grand écrivain ou même du "grantécrivain". Au contraire, même. Le fait d'avoir tant d'avance sur le commun des mortels, sur le commun des lecteurs, ne peut que vouer à une certaine solitude
et à peu de succès éphémères dans le monde. Mais cela vient peu à peu. Les propos d'Alain Finkielkraut, ce matin, sur l'immigration et sur l'usage du prénom, étaient entièrement "renaud camusiens" (comme on dit marxistes ou maurrassiens) et n'auraient pas existé, n'auraient pu être ni pensés ni exprimés, si Renaud Camus n'avait pas été précurseur.