Au Salon du livre, ma compagne a assisté à une conférence sur le thème « La bibliothèque saura-t-elle accueillir les nouvelles générations ? » (non elle n’est pas masochiste, c'est pour son travail) : petit compte-rendu.
Pour atteindre leur unique but, l’augmentation des chiffres de fréquentation, les bibliothèques cherchent à tout prix à faire venir ceux qui ne le veulent pas :
les jeunes. Comme les différentes stratégies ou politiques pour les amener à la lecture ont échoué, le principe est désormais de les accueillir pour d’autres activités.
La BPI (bibliothèque publique d’information du centre Pompidou), toujours à la recherche de nouveaux publics (alors que depuis des années il y a une heure de queue pour y accéder), va être réaménagée pour la création d’un espace « nouvelle génération » qui proposera de la musique, des mangas et des jeux vidéo. Pour une future bibliothèque dans le dix-huitième arrondissement, c’est au cœur même de sa conception qu'on trouve l’orientation vers les jeux vidéo. Autre approche, la bibliothèque Canopée (qui portera bien son nom), située dans le Forum des Halles, fera la part belle aux réseaux sociaux et à la culture hip-hop, avec un grand espace consacré au rap.
L’exemple qui a été le plus évoqué et acclamé par la profession est la récente médiathèque d’Anzin, dans le Nord. Son crédo est l’
ouverture, que ce soit en termes de permissivité, de variétés des collections, de services ou de pratiques : « on peut boire, manger, utiliser son téléphone portable ou faire une petite sieste ». Sa directrice n’a cessé de répéter « ça marche !!! » en citant les chiffres d’une fréquentation record.
De manière générale, la tendance est à la transformation des bibliothèques en « lieux de vie », accueillants et conviviaux. Depuis quelques années déjà, on constate une réduction de la place accordée aux livres. Selon le ministère de la culture, 136 documents par mètre carré est un bon ratio de densité collections/espace. La ville de Paris a pris une option forte : ramener ce nombre à 40 documents par mètre carré. La perspective « idéale » des professionnels est de modifier la conception des bibliothèques qui était de réserver 70% des surfaces aux rayonnages et 30% aux utilisateurs, en inversant ces chiffres.
En prônant une architecture et un aménagement ouverts pour plus de convivialité, les espaces de travail et de calme disparaissent progressivement : il n’y plus de séparations entre les niveaux, entre les différents espaces. Les ordinateurs en accès libre (sur lesquels les enfants font bruyamment des jeux vidéo) sont présents partout, comme les « poufs » dans lesquels se vautrent les adolescents armés de leur seul téléphone. Bref, il est devenu impossible de lire dans une bibliothèque, et bientôt peut-être, d’y trouver de la littérature. A aucun moment, on se demande s’il est opportun d’échanger de manière aussi radicale le lecteur contre le squatteur, le demandeur de culture contre le demandeur de pouf, le travailleur contre le glandeur, le vieux con contre le jeune cool, le silence contre le bruit, la richesse contre le rien.
Le magazine professionnel des libraires et des bibliothécaires Livres Hebdo donne le « la » de toutes ces évolutions et innovations. En décembre dernier a été créé le Grand Prix Livres Hebdo des bibliothèques, dont le jury était présidé par Anna Gavalda (le prochain le sera par Zep). Je cite : « ce prix a pour finalités de donner des exemples de formules gagnantes pour doper la fréquentation, plutôt en berne, des bibliothèques, chacun a privilégié les initiatives les plus gaies, les plus drôles et surtout les plus adaptées aux publics. » Je détaille les prix car ils donnent un excellent exemple de ce qui nous attend, et aussi pour montrer que l’
innovation ne touche pas seulement Paris :
Le premier prix a été décerné à la médiathèque André Malraux à Béziers, appelée MAM, pour son ouverture le dimanche et ses nombreuses animations : atelier manga, défilé cosplay, quiz, tournoi de jeu, etc.
Le prix du meilleur accueil est allé à la médiathèque d’Agneaux (Manche) pour son opération « les terrasses de l’été » où étaient installés dehors des transats de détente. Voici un extrait de leur profession de foi : « l’usager est au centre de notre fonctionnement et passe avant les livres, nous cherchons à les connaître par leur nom que nous préférons aux codes à barres. Ici on ne pénalise pas les usagers [pour le retard]. Le nombre de documents empruntable ? Celui que vous voulez. »
Le prix de la meilleure animation a été reçu par la médiathèque Pierre Amalric à Albi pour l’organisation de siestes littéraires, où l’auditeur est installé dans un transat pour écouter des textes « très divers » et « méconnus ».
Enfin, le prix du plus bel espace intérieur a été décerné à la désormais célèbre médiathèque d’Anzin (Nord) pour son mobilier design de relaxation, ses poufs géants ou à roulettes, et son mobilier adapté pour les « tout-petits » et bébés. Dans le hall d’accueil, distributeurs de boissons, tables et tabourets de bar. Le seul grand regret de la directrice est dans l'architecture : il faut monter un grand escalier qui malheureusement donne l'impression de la suprématie de la culture.
Comme vous l'aurez remarqué, un mot est absent de toutes ces
innovations de bibliothèques :
le livre.