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Les bibliothèques innovent

Envoyé par Mathieu 
23 mars 2011, 11:50   Les bibliothèques innovent
Au Salon du livre, ma compagne a assisté à une conférence sur le thème « La bibliothèque saura-t-elle accueillir les nouvelles générations ? » (non elle n’est pas masochiste, c'est pour son travail) : petit compte-rendu.
Pour atteindre leur unique but, l’augmentation des chiffres de fréquentation, les bibliothèques cherchent à tout prix à faire venir ceux qui ne le veulent pas : les jeunes. Comme les différentes stratégies ou politiques pour les amener à la lecture ont échoué, le principe est désormais de les accueillir pour d’autres activités.
La BPI (bibliothèque publique d’information du centre Pompidou), toujours à la recherche de nouveaux publics (alors que depuis des années il y a une heure de queue pour y accéder), va être réaménagée pour la création d’un espace « nouvelle génération » qui proposera de la musique, des mangas et des jeux vidéo. Pour une future bibliothèque dans le dix-huitième arrondissement, c’est au cœur même de sa conception qu'on trouve l’orientation vers les jeux vidéo. Autre approche, la bibliothèque Canopée (qui portera bien son nom), située dans le Forum des Halles, fera la part belle aux réseaux sociaux et à la culture hip-hop, avec un grand espace consacré au rap.
L’exemple qui a été le plus évoqué et acclamé par la profession est la récente médiathèque d’Anzin, dans le Nord. Son crédo est l’ouverture, que ce soit en termes de permissivité, de variétés des collections, de services ou de pratiques : « on peut boire, manger, utiliser son téléphone portable ou faire une petite sieste ». Sa directrice n’a cessé de répéter « ça marche !!! » en citant les chiffres d’une fréquentation record.

De manière générale, la tendance est à la transformation des bibliothèques en « lieux de vie », accueillants et conviviaux. Depuis quelques années déjà, on constate une réduction de la place accordée aux livres. Selon le ministère de la culture, 136 documents par mètre carré est un bon ratio de densité collections/espace. La ville de Paris a pris une option forte : ramener ce nombre à 40 documents par mètre carré. La perspective « idéale » des professionnels est de modifier la conception des bibliothèques qui était de réserver 70% des surfaces aux rayonnages et 30% aux utilisateurs, en inversant ces chiffres.
En prônant une architecture et un aménagement ouverts pour plus de convivialité, les espaces de travail et de calme disparaissent progressivement : il n’y plus de séparations entre les niveaux, entre les différents espaces. Les ordinateurs en accès libre (sur lesquels les enfants font bruyamment des jeux vidéo) sont présents partout, comme les « poufs » dans lesquels se vautrent les adolescents armés de leur seul téléphone. Bref, il est devenu impossible de lire dans une bibliothèque, et bientôt peut-être, d’y trouver de la littérature. A aucun moment, on se demande s’il est opportun d’échanger de manière aussi radicale le lecteur contre le squatteur, le demandeur de culture contre le demandeur de pouf, le travailleur contre le glandeur, le vieux con contre le jeune cool, le silence contre le bruit, la richesse contre le rien.

Le magazine professionnel des libraires et des bibliothécaires Livres Hebdo donne le « la » de toutes ces évolutions et innovations. En décembre dernier a été créé le Grand Prix Livres Hebdo des bibliothèques, dont le jury était présidé par Anna Gavalda (le prochain le sera par Zep). Je cite : « ce prix a pour finalités de donner des exemples de formules gagnantes pour doper la fréquentation, plutôt en berne, des bibliothèques, chacun a privilégié les initiatives les plus gaies, les plus drôles et surtout les plus adaptées aux publics. » Je détaille les prix car ils donnent un excellent exemple de ce qui nous attend, et aussi pour montrer que l’innovation ne touche pas seulement Paris :
Le premier prix a été décerné à la médiathèque André Malraux à Béziers, appelée MAM, pour son ouverture le dimanche et ses nombreuses animations : atelier manga, défilé cosplay, quiz, tournoi de jeu, etc.
Le prix du meilleur accueil est allé à la médiathèque d’Agneaux (Manche) pour son opération « les terrasses de l’été » où étaient installés dehors des transats de détente. Voici un extrait de leur profession de foi : « l’usager est au centre de notre fonctionnement et passe avant les livres, nous cherchons à les connaître par leur nom que nous préférons aux codes à barres. Ici on ne pénalise pas les usagers [pour le retard]. Le nombre de documents empruntable ? Celui que vous voulez. »
Le prix de la meilleure animation a été reçu par la médiathèque Pierre Amalric à Albi pour l’organisation de siestes littéraires, où l’auditeur est installé dans un transat pour écouter des textes « très divers » et « méconnus ».
Enfin, le prix du plus bel espace intérieur a été décerné à la désormais célèbre médiathèque d’Anzin (Nord) pour son mobilier design de relaxation, ses poufs géants ou à roulettes, et son mobilier adapté pour les « tout-petits » et bébés. Dans le hall d’accueil, distributeurs de boissons, tables et tabourets de bar. Le seul grand regret de la directrice est dans l'architecture : il faut monter un grand escalier qui malheureusement donne l'impression de la suprématie de la culture.

Comme vous l'aurez remarqué, un mot est absent de toutes ces innovations de bibliothèques : le livre.
Ce qui est reposant, avec Modernœud, c'est qu'on n'a plus à se donner la peine de le caricaturer : il le fait de lui-même.
J'archive.
« Le principe est désormais de les accueillir pour d’autres activités. »

Il suffit d'installer une boîte de nuit ou un "espace" de jeux vidéos dans une bibliothèque pour faire immédiatement augmenter les chiffres de fréquentation des jeunes en question. On peut ensuite se gargariser sur l'ouverture d'esprit et la soif d'apprendre des "nouveaux publics".

« Les ordinateurs en accès libre (sur lesquels les enfants font bruyamment des jeux vidéo) sont présents partout, comme les "poufs" dans lesquels se vautrent les adolescents armés de leur seul téléphone. Bref, il est devenu impossible de lire dans une bibliothèque, et bientôt peut-être, d’y trouver de la littérature. [...]
Enfin, le prix du plus bel espace intérieur a été décerné à la désormais célèbre médiathèque d’Anzin (Nord) pour son mobilier design de relaxation, ses poufs géants ou à roulettes, et son mobilier adapté pour les "tout-petits" et bébés. Dans le hall d’accueil, distributeurs de boissons, tables et tabourets de bar. Le seul grand regret de la directrice est dans l'architecture : il faut monter un grand escalier qui malheureusement donne l'impression de la suprématie de la culture. »


Vous décrivez très bien la grande mutation en cours, Mathieu. Ils ont dû lire Muray, à Anzin.

Merci pour ce compte rendu.
Et qu'est-ce qu'un "défilé cosplay" ???
23 mars 2011, 13:08   Re : Les bibliothèques innovent
Citation
Stéphane Bily
Et qu'est-ce qu'un "défilé cosplay" ???

Le mot cosplay vient de costume et playing : c'est le déguisement en personnage de dessin animé ou jeu vidéo.
"Ça vient de loin, c'est japonais !" (Michel Blanc, Les Bronzés)
Mais c'est trop cool !
Le prix de la meilleure animation a été reçu par la médiathèque Pierre Amalric à Albi pour l’organisation de siestes littéraires, où l’auditeur est installé dans un transat pour écouter des textes « très divers » et « méconnus ».


Je ne trouve pas cela stupide, à la réflexion.
Non, les siestes littéraires, c'est vraiment le must.
Je doute fort que ce soit en direction des jeunes, et je trouve que l'idée d'une pause dans une course incessante n'est pas idiote.
Utilisateur anonyme
23 mars 2011, 13:29   Re : Les bibliothèques innovent
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Pourquoi dites-vous cela, Didier ?

Un moment reposant, dans une bibliothèque, un moment d'arrêt... je ne trouve pas cela choquant.

Cela me semble d'une toute autre logique que le rap...
23 mars 2011, 14:25   Sieste
On souhaiterait, vision d'été,
Que des colosses hébétés
Nous éventent, caniculaires,
En agitant des dictionnaires

Encyclopédiques bien sûr.
Utilisateur anonyme
23 mars 2011, 14:29   Re : Sieste
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Voici le thème de l'une de ces siestes. Reconnaissez que ce ne sont pas des ignares :

[www.mediatheque-albi.fr]

Une lecture des contes de La Fontaine sur fond de musique baroque n'est pas de même nature que la création d'espace bébés.

Je vais finir par croire que toute innovation est forcément abominable.
Il y a encore trop de livres, certainement. Dès qu'on aura tout bazardé, on pourra mettre plus de poufs et d'espaces interactifs.
De toute façon, les cosi-dette bibliothèques (municipales ou autres, de quartier, médiathèques...) usurpent le nom qu'elles portent : ce sont ce que l'on appelait au XIXe siècle des "cabinets de lecture". Alors la distinction entre bibliothèques et cabinets de lecture était une réalité. Ces cabinets de lecture sont de moins de moins "de lecture" et de plus en plus "de loisirs" ou "festifs". Quoi qu'il en soit, ils n'ont jamais été des bibliothèques...
Voilà à présent la sieste animée, autant dire, la sieste devenue interactive. Alors que la sieste devrait être la mort provisoire, salutaire et régénératrice de l'esprit; la sieste sacrée qui est à la vie intellectuelle du monde méditerranéen ce que l'orgasme est à la vie tout court, voilà qu'ils ont osé l'animer ! les salauds !

Vous avez envie de suivre des mangas pendant l'acte vous, jean-marc, pendant que la pensée est livrée à nos morts et pendant le souverain orgasme de la noire méridienne nourricière de l'esprit, vous voudriez suivre les aventures de Titeuf et des Simpsons, Jean-Marc. Jean-Marc, je vous en prie, ne me faites plus mal...
Mais, Francis, c'est que je suis méridional (et pire encore, héritier des grecs pour certaines choses).

Les aèdes chantaient bien au cours de banquets, la phorminx permettant de couvrir sans doute le bruit des mâchoires...

Pour les mangas dans l'acte, rappelez-vous ce passage de Laclos, qui montre qu'on peut très bien écrire entre les bras (et peut être même les jambes, d'ailleurs) d'une fille :

Cette complaisance de ma part est le prix de celle qu'elle vient d'avoir, de me servir de pupitre pour écrire à ma belle Dévote, à qui j'ai trouvé plaisant d'envoyer une Lettre écrite du lit et presque d'entre les bras d'une fille, interrompue même pour une infidélité complète, et dans laquelle je lui rends un compte exact de ma situation et de ma conduite. Emilie, qui a lu l'Epître, en a ri comme une folle, et j'espère que vous en rirez aussi.


Ajout à propos des aèdes.

J'ai recherché le passage de l'Odyssée, où il est question de cela. Voici la traduction de Leconte de Lisle :

Et Alkinoos tua pour eux douze brebis, huit porcs aux blanches dents et deux boeufs aux pieds flexibles. Et ils les écorchèrent, et ils préparèrent le repas agréable.

Et le héraut vint, conduisant le divin Aoide. La Muse l'aimait plus que tous, et elle lui avait donné de connaître le bien et le mal, et, l'ayant privé des yeux, elle lui avait accordé le chant admirable. Le héraut plaça pour lui, au milieu des convives, un thrône aux clous d'argent, appuyé contre une longue colonne ; et, au-dessus de sa tête, il suspendit la kithare sonore, et il lui montra comment il pourrait la prendre. Puis, il dressa devant lui une belle table et il y mit une corbeille et une coupe de vin, afin qu'il bût autant de fois que son âme le voudrait. Et tous étendirent les mains vers les mets placés devant eux.

23 mars 2011, 15:14   Re : Les bibliothèques innovent
Jean-Marc, cette animation n'est pas choquante ni condamnable en effet. Mais imaginez que, de toutes les animations proposées dans les bibliothèques de France - et il doit y en avoir de très bonnes, des ateliers autour du livre, des expositions valorisant le fonds -, ils ont choisi la plus facile et la plus passive de toutes pour lui décerner leur prix et l'ériger en modèle.
Pour le jury, pseudo nouveau concept = sympa, sieste en transat = cool, prendre un livre = prise de tête.
De plus, je vois qu'ils se contentent parfois de mettre un disque qu'ils doivent appeler "littéraire" (jazz de Boris Vian), que les contes ou récits sont presque toujours accompagnés par la musique, et surtout qu'il est autorisé de manger pendant la dite animation. J'avoue que je m'imagine mal me détendre dans ces conditions.

Vous avez le don de pointer le petit détail que vous voulez nuancer, avec raison souvent, mais de ne faire que ça, et ainsi la discussion dérive vers ce sujet mineur, étouffant le débat principal. J'attache de l'importance aux détails et je pars aussi en hors-sujet parfois, mais il est dommage que cette attitude devienne systématique, c'est fatiguant et insultant pour vos contradicteurs. Par exemple, là, je m'attends à ce que vous me rétorquiez : "ah si, le jazz de Vian est littéraire", et on va tous se mettre à ne parler que de ça, alors que je n'ai pas prétendu le contraire et que ce n'est pas le sujet.
Vous êtes un homme érudit, alors faites nous en profiter, merci. Avec tout mon respect.
l’usager est au centre de notre fonctionnement et passe avant les livres, nous cherchons à les connaître par leur nom que nous préférons aux codes à barres.
Moi perso j'trouve ça un peu froid, presque choquant à la limite : les prénoms, c'est quand même vachement plus sympa.

le prix du plus bel espace intérieur a été décerné à la désormais célèbre médiathèque d’Anzin (Nord) pour son mobilier design de relaxation, ses poufs géants ou à roulettes, et son mobilier adapté pour les « tout-petits » et bébés.
Ouais, peut-être, n'empêche que l'aut'jour, je vois, j'étais avec ma femme et l'petit, eh ben on a même pas pu trouver un coin pour changer Enzo ! Incroyab' !
« Vous avez le don de pointer le petit détail que vous voulez nuancer, avec raison souvent, mais de ne faire que ça, et ainsi la discussion dérive vers ce sujet mineur, étouffant le débat principal. J'attache de l'importance aux détails et je pars aussi en hors-sujet parfois, mais il est dommage que cette attitude devienne systématique, c'est fatiguant et insultant pour vos contradicteurs. »

Bon résumé du jeanmarcisme des mauvais jours.
Certes, Mathieu, c'est un de mes défauts, mais c'est un défaut qui est appelé par des remarques générales : à règle absolue, on cherche un contre-exemple. Du point de vue de la logique, c'est d'ailleurs une façon de faire fort courante. Cent exemples à l'appui d'une théorie ne la rendent pas plus solide. Un contre exemple la détruit.

Votre message initial est du plus grand intérêt, c'est évident, et je l'ai lu avec grand plaisir. Cela étant, il pourrait faire croire que TOUTE innovation, dans le domaine des bibliothèques, est nuisible ou grotesque. Il y a, en fait, des choses qui sont ridicules (l'histoire de l'escalier d'Anzin, par exemple) et des choses qui ne le sont pas.

Ma façon de faire est certes de chercher le détail. Je persiste : c'est la rançon d'un point de vue très souvent exprimé ici qui est "tout le fout le camp", exprimé avec force et constance, et auquel j'essaie d'apporter des nuances.

Il est évident que si les messages se présentaient sous la forme "telle horreur vient d'être commise, mais dans le même temps on souligne que..." j'aurais l'herbe coupée sous le pied. Comme le second membre (je veux dire, celui de la phrase) manque, je poursuis ma course.

En tout état de cause, insultant, cela ne l'est pas. C'est pénible, pesant, peu approprié, comme vous voudrez. Insultant, non, car je n'ai en rien l'intention de porter atteinte à votre dignité.
Mais, Mathieu et Marcel, vous me parlez d'étouffer le débat principal. Le problème est qu'il n'y a pas de débat si chacun dit "oui", "effectivement", "pour sûr", "affirmatif (je ne sais s'il y a des militaires parmi les liseurs).
Vous avez raison, Mathieu. Mais le jazz de Boris Vian est plus littéraire que vous ne pensez.

A propos de jazz : cela me fait penser que la direction de la cimenterie de Rufisque s'est vu décerner il y a quelques jours, au cercle Maurice Guèye de Rufisque, le label de Certification ISO 14001 par l'Association française de normalisation (AFNOR) où (justement) travailla... Boris Vian de 1942 à 1946.

(Il y en a qui dorment, au fond.)
Non, ils font une sieste littéraire.
Stéphane, c'est magnifique, voici une réponse comme je les aime. Vous remportez le prix du tiroir du bas.
Merci Mathieu pour cet excellent compte-rendu, qui ne fait que corroborer mes observations de bibliothécaire depuis plusieurs années. Le modèle qui est décrit est celui de l'idea store. Les bibliothèques universitaires, parallèlement, deviennent des learning centers. Dans les deux cas il s'agit d'abolir définitivement la frontière qui séparait l'institution du monde extérieur (à vrai dire on serait presque tenté de dire : qui séparait l'intemporel et le temporel...)
Olivier, c'est fort intéressant.

Cette fois, sans chercher le détail qui tue, peut-on définir ce qu'est une bibliothèque et pourquoi la collectivité y investit les deniers du contribuable ?
Les bibliothèques filent d'ailleurs le même mauvais coton que les musées. Je me souviens qu'au musée de Phoenix (dans l'Arizona) j'avais été frappé il y a quelques années par la présence, au beau milieu des salles consacrées à la peinture (flamande, je crois), de rutilants "espaces mode", constitués de quelques vitrines où le visiteur était invité à se reposer la tête, à décompresser, par la contemplation de nouvelles collections de vêtements.
La question est la même pour les musées.
23 mars 2011, 15:55   Re : Les bibliothèques innovent
Jean-Marc, je n'ai jamais prétendu que toute innovation était à jeter. C'est par honnêteté que je cite tous les faits, ici tous les prix de Livres Hebdo, sans choisir les pires, sans sélectionner, et c'est d'ailleurs ce qui m'a été reproché dans le fil sur les faits divers. Ici encore, j'ai présenté les prix de façon assez factuelle il me semble, car je vous fais confiance pour deviner ce qui est ridicule ou pas. Je n'ai pas besoin de vous prévenir "attention ça c'est très nul, cela moyennement..." Il y a des degrés dans la médiocrité que chacun peut juger à sa manière.

Je comprends votre logique, cher Jean-Marc, mais admettez que répondre à une personne - qui a donné un peu de son temps pour écrire un message - , un unique et abrupt "le point 4 est faux", c'est un peu blessant, même si vous ne désirez pas l'être, et j'en suis persuadé. Je pense que quelques lecteurs silencieux de ce forum aimeraient s'inscrire et intervenir mais qu'ils n'osent pas car ils ont peur d'être cassés dès leur arrivée. Je ne vous dis pas de ne pas porter la contradiction, bien au contraire, mais peut-être d'y mettre un peu plus de forme.

Stéphane, en parlant de Boris Vian, mon fils m'a montré une émission sur internet qui se nomme "J'irai LOLER sur vos tombes."
Je comprends en effet ce que vous voulez dire, et je n'avais pas conscience que ce type de message pouvait être pris en ce sens.

Je persiste à penser que la forme usuelle des messages de ce forum est en elle-même porteuse de ce risque. Par le fait qu'ils portent une thèse et quasiment jamais les éléments d'antithèse, ils appellent cette antithèse dans les réponses, et quand ils présentent des faits, ils appellent la réponse sur ces faits.

Considérons maintenant le problème que vous abordez, et qui se résume en fait en une phrase que vous écrivez fort bien :

Pour atteindre leur unique but, l’augmentation des chiffres de fréquentation, les bibliothèques cherchent à tout prix à faire venir ceux qui ne le veulent pas : les jeunes.

C'est, de mon point de vue, une chose qui mérite débat. Il ne me semble pas insensé d'avoir pour objectif d'amener les jeunes à la lecture, ni non plus stupide d'essayer autre chose si ce qu'on a fait avant n'a pas eu de résultat (vous nous dites fort justement Comme les différentes stratégies ou politiques pour les amener à la lecture ont échoué).

De même, les bibliothèques étant financées par l'argent public, c'est à dire le nôtre, il n'est pas dément, toujours de mon point de vue, de savoir où cet argent est passé et à quoi il a servi. On peut critiquer le critère du nombre de visiteurs mais dans ce cas il faut proposer un autre critère permettant de voir que les deniers du contribuable sont bien (ou mal) utilisés.

J'aimerais beaucoup qu'on puisse avoir ce genre de débat, qui tient en une idée : une activité culturelle doit-elle avoir un rendement mesurable ? je dis oui, dans un pays qui doit se serrer la ceinture. On peut dire non, mais il n'est pas interdit d'expliquer pourquoi.

De façon plus générale, je perçois sur ce forum une forte réticence à l'encontre de ce qui est outils de mesure, moyens de quantification, notion d'efficacité. C'est à mon sens une attitude dangereuse. Il ne faut pas être esclave de la mesure, c'est évident. Ceci dit, avoir des données est une très bonne aide à la décision.
Et si le problème ne venait pas de la prétendue austérité des bibliothèques mais d’une attitude générale qui consiste à identifier la culture au laborieux, à l’ennuyeux, au contraire même de la fête, de la joie, du bonheur. J’ai l’impression d’énoncer un truisme. Comment changer cela ? Si l’on essaie de vulgariser la littérature dans les médias, si l’on diffuse, par exemple, un dessin animé présentant les aventures de Gargantua, on sera susceptible des griefs coutumiers : c’est réduire la littérature à peau de chagrin, ce n’est pas cela, ce n’est pas pareil… Comment réhabiliter l’intelligence ?
23 mars 2011, 16:34   Où tout est dit
"La culture doit aimer comme la plus sûre de ses alliées, en ce réensauvagement du monde qu'implique son effacement, la négligence méprisante où elle est tenue. Au creux dangereux de la décivilisation en cours, parmi la violence que fomente de toute part la coïcidence de soi à soi (qui est précisément ce que de toutes ses forces, et de tout son art, elle s'acharnait à prévenir), il lui revient d'exister par surprise, aux saisons, dans les cantons et le long des chemins de traverse que les vrais pouvoirs et leurs bandes de sicaires n'auront même pas songé, par dédain de sa faiblesse et par ignorance de ses visages, à débarrasser de ses dernières traces."

Renaud Camus, La Grande Déculturation, dernières lignes.
De façon plus générale, je perçois sur ce forum une forte réticence à l'encontre de ce qui est outils de mesure, moyens de quantification, notion d'efficacité

Non, non, BCJM, il existe bien un outil de mesure de vos interventions sur ce forum, avec gradation des quota journaliers atteints, mise en mémoire des records successivement battus, et quelques autres perfectionnements adaptés à l'ampleur quantitative de la tâche. Instrument fragile, dépassé par les événements, surmené. Souvent en réparation.
Jean-Marc, ces questions méritent d'être posées, j'en suis conscient; mais elles exigent une réflexion préalable.

Si la fréquentation des bibliothèques augmente grâce à tout ce que l'on peut désormais y trouver et qui n'a rien à voir avec les missions d'une bibliothèque "classique" (cybercafé, salle de jeux vidéo, lieu de détente et d'amusements divers...), comment peut-on affirmer qu'elle est plus efficace en tant qu'institution culturelle ? On voit très bien que pour "rentabiliser" cette institution, il faut la transformer peu à peu en service commercial, tout en minimisant ses aspects rebutants. Je ne vois pas bien ce que la Culture peut y gagner.
Olivier, le risque de faire dire à l'outil ce qu'il ne peut pas dire est réel, mais en disposer est mieux que rien.

Résumer l'activité et le sens de la bibliothèque à la seule mesure du nombre de personnes qui entrent dans le hall, c'est réducteur, évidemment.

De même, on pourrait dire que résumer une pièce de théâtre à ses seules entrées, indépendamment de sa qualité réelle, c'est réducteur. C'est pourtant ce qu'on a fait pendant des siècles, une pièce sans entrées ne tenant plus l'affiche.

Dans le cas des bibliothèques, le problème n'est pas tant celui des entrées que du pourquoi de ces entrées. Amener les gens à aller dans une bibliothèque pour se vautrer sur des poufs, je conçois que cela ne soit pas un objectif. En revanche, amener les gens à regarder les livres après s'être vautrés sur les poufs et à les emprunter, ce n'est pas forcément une mauvaise chose.

Les jeunes se vautreront sur les poufs, ça nous n'y pouvons rien. Si ces poufs peuvent les amener à lire, pourquoi pas ?

Vous voyez dès lors poindre un second critère : on pourrait évaluer le nombre des ouvrages empruntés, et aussi l'évaluer par catégorie.

Le but d'une bibliothèque peut être double : soit servir de lieu d'étude, c'est comme cela que je la conçois. Soit servir de lieu de prêt pour des gens qui n'ont pas les moyens d'acheter des livres.

Si, ma foi, une bibliothèque amène à lire des livres, et compter les livres prêtés est ce qu'il y a de plus pertinent pour mesurer cela, elle a atteint son but.

Il manque dès lors une réponse à cette question : les bibliothèques qui se sont lancées dans ces innovations en apparence insensées ont-elles vu augmenter le nombre de livres prêtés ?
On pourrait affiner l'investigation et se demander par exemple si les bibliothèques qui se sont lancées dans ces innovations en apparence insensées ont vu augmenter le nombre de livres de Balzac, mettons, prêtés davantage que le nombre d'albums de Titeuf.

Pour revenir à des considérations un peu plus sérieuses, il est frappant de voir à quel point cette évolution des bibliothèques est similaire à celle des musées, évolution dont Renaud Camus a montré qu'elle était l'un des symptômes frappants de la Grande Déculturation. Dans un cas comme dans l'autre on passe du statut de temple fait pour les fidèles et ceux qui aspirent à le devenir à celui de salle des pas perdus dans lesquelles on dispose des jeux d'arcade pour divertir le chaland. Encore le visiteur de musée, même enfermé dans un troupeau de visiteurs captifs, sait-il qu'il est là pour passer devant des œuvres d'art et non pour jouer à des jeux vidéo.

Il y a des moments ou la recherche à tout prix de la nuance subtile et la volonté de voir en elle le bon côté des choses mène tout simplement à l'aveuglement.
C'est, de mon point de vue, une chose qui mérite débat. Il ne me semble pas insensé d'avoir pour objectif d'amener les jeunes à la lecture

De mon point de vue à moi, cher Jean-Marc, ce n'est pas le rôle d'une bibliothèque, mais bien celui exclusif de l'éducation et de l'enseignement ; de même que ce n'est pas la tâche des musées de faire du gringue au chaland et d'essayer de conquérir "de nouveaux publics". Ces lieux sont de stricts dépositaires censés être à la disposition de qui en a besoin ou désir. Ce besoin et ce désir, il ne leur appartient pas de le créer ou de le susciter désespérément. Tout au plus peuvent-ils les accompagner et les servir du mieux qu'ils peuvent. Quand je lis le très instructif état des lieux qu'a dressé M. Mathieu au début de ce fil, je bous de rage à voir les sommets de putasserie que l'on est capable de mettre en œuvre "dans c'pays" pour rameuter la clientèle, faire du chiffre, montrer qu'on "bouge", qu'on "avance", qu'on met la culture à la portée de tous. La culture !? Sans compter que toute cette clientèle de parleurs haut, de poseurs de pieds sur les tables et de téléphoneurs publics contribuent à la banalisation de leur attitude (exctement comme dans la rue, comme partout, d'ailleurs) dans des lieux qui sont antipathiques au dernier degré à ce genre de conduite.
Je vous laisse méditer cette pensée d'Hannah Arendt : « Bien des grands auteurs du passé ont survécu à des siècles d'oubli et d'abandon, mais c'est encore une question pendante de savoir s'ils seront capables de survivre à une version divertissante de ce qu'ils ont à dire. »

(Quant aux poufophiles, je puis vous assurer que les seuls biens culturels qu'ils emprunteront jamais, ce sont des DVD de films de troisième ordre ou des bandes dessinées.)
Nos messages similaires se sont croisés, cher Marcel !

Encore le visiteur de musée, même enfermé dans un troupeau de visiteurs captifs, sait-il qu'il est là pour passer devant des œuvres d'art et non pour jouer à des jeux vidéo.

Plus pour longtemps ? Gageons que l'on finira bien par mettre en place des dispositifs ludiques et autres animations au sein même des musées...
Francmoineau,

Evidemment, ce doit être le rôle de l'éducation nationale. Notez cependant que j'avais écrit :

Il ne me semble pas insensé d'avoir pour objectif d'amener les jeunes à la lecture, ni non plus stupide d'essayer autre chose si ce qu'on a fait avant n'a pas eu de résultat (vous nous dites fort justement Comme les différentes stratégies ou politiques pour les amener à la lecture ont échoué).

C'est là probablement ma plus grande divergence d'avec les autres liseurs : je ne peux pas me résigner à penser que comme l'éducation nationale a causé les échecs qu'on sait, on ne doit rien faire. Si on peut amener à lire malgré la faillite de cette éducation, il faut le faire, tel est mon point de vue. Vous me dites qu'il y a un rôle exclusif. Une fois le temps de l'éducation écoulé, que fait-on ?
Il doit être possible de répondre à cette question (du lien entre nouveaux services et augmentation des prêts, je précise car plusieurs messages sont apparus pendant que j'écrivais le mien). Dans les bibliothèques comme ailleurs, tout est chiffré et tous les chiffres sont exploités : nombre de prêts par catégories d'ouvrages, nombre d'ouvrages et de périodiques consultés en salle (des semaines entières sont consacrées à relever ces chiffres pour en faire d'innombrable tableaux et fromages...), nombre d'entrées (on équipe les portails de petits compteurs numériques, relevés quotidiennement), etc.

Ce qui me semble évident, c'est que le désintérêt pour le livre est un phénomène très vaste et très profond parmi les jeunes gens. Il est très improbable que les poufs soient une solution à ce problème (mais d'ailleurs, est-ce un problème ??)
Marcel,

Je ne peux me résoudre à considérer les musées comme des temples réservés aux fidèles (et aux catéchumènes).

Vous posez là une question redoutable, fondamentale. Je pense que vous et moi entrons dans un musée pour les mêmes raisons. Je ne suis pas, non plus, adepte des musées transformés en salle des pas perdus.

Cela étant, ne croyez-vous pas qu'un touriste un peu curieux, qui n'aurait, à la suite des brillants résultats de l'éducation nationale, aucune connaissance en matière de peinture, ne trouve pas un profit à visiter, même en groupe compact, le Louvre ou autres lieux ? est-il impossible d'envisager qu'à la suite de cela il se renseigne sur tel ou tel peintre ?

Je conçois que cela puisse me déranger et vous déranger d'être pris dans ces foules. J'ai résolu le problème en visitant les musées aux heures où les groupes ne les visitent pas, c'est à dire à l'ouverture et au moment des repas. A part cette critique, je ne pense pas que les oeuvres en souffrent.
Le désintérêt pour le livre est un phénomène très vaste et très profond parmi les jeunes gens.

Est-ce un problème ? vous donnez votre réponse, et je pense que c'est une très bonne question.

Soit on considère que ce n'est pas, en effet, un problème, et il est logique d'admettre qu'on peut sanctuariser les bibliothèques. Soit on considère qu'une jeunesse sans livres est une jeunesse sans repères, et on peut essayer d'y remédier par tous moyens.
Certes, Jean-Marc, mais les causes du désintérêt ne se trouvent pas dans les bibliothèques elles-mêmes.
"(...) ce n'est pas le rôle d'une bibliothèque, mais bien celui exclusif de l'éducation et de l'enseignement (...)"

Tout à fait de l'avis de Francmoineau. C'est comme si on organisait des visites de garages pour inciter les gens à posséder une automobile.

Beaucoup plus généralement, ne peut-on pas dire que tous ces "espaces d'accueil", toutes ces "animations" ludiques et autres, toutes ces tentatives approximatives d'occuper le public, tous ces bricolages pédagogiques, répondent à un besoin réel de prendre en charge l'inévitable oisiveté que produit la technique, mais, comme cette oisiveté ne sort pas de l'Enfer moral où on l'a mise, qu'il reste impossible de la reconnaître en tant que telle et de la mettre au programme de la réflexion politique, franchement, alors on tente de la caser avec hypocrisie dans des lieux déjà existants, des lieux que l'on imagine avoir le plus de rapport avec elle, c'est-à-dire les musées, les bibliothèques, l'école.
Non, cher Orimont, je ne pense pas qu'il y ait une volonté de prise en charge de l'inévitable oisiveté dans les bibliothèques.

Il y a une forte tendance des bibliothécaires - qui sont toujours, souvent, un peu exaltés - d'aller trop loin, en ne respectant pas le "non lecteur".

Cela me paraît une dérive ancienne (années 70 au moins), qui n'a que peu à voir, sauf erreur, avec le Grand Remplacement en cours et la belle jeunesse que nous avons diversement sous les yeux.

Des activités d'animation autour de la lecture n'ont rien de foncièrement répréhensible et n'ont pas toujours le côté caricatural parfois mis en avant sur ce site. Tout dépend de qui les pratique. Il y faut du bon sens, de la culture, du recul, le sens du relatif. Renaud Camus distingue souvent à bon droit entre les personnes qui savent beaucoup de choses et les personnes cultivées. Les personnes authentiquement cultivées sont probablement aussi rares chez les bibliothécaires que partout ailleurs. Ce serait pourtant d'elles et d'elles seules dont nous aurions besoin pour éveiller à la lecture, comme à toute autre activité. Or nous avons seulement, sauf exception, des gens formés à certaines techniques, un peu exaltés, sans esprit critique sur leur propre pratique, persuadés de détenir le bien et le vrai et de devoir le répandre universellement.
"Les personnes authentiquement cultivées sont probablement aussi rares chez les bibliothécaires que partout ailleurs."

L'inauthenticité prédomine dans tous les milieux de la "culture", plus que partout ailleurs. Encore les bibliothécaires les plus âgés font-ils généralement preuve d'une certaine érudition; les jeunes sont ignares et présomptueux comme des jeunes - des jeunes diplômés, cela va de soi.
Les gens lisent de moins en moins, et pourtant, il n'est partout question que "d'ateliers d'écriture", entre les séances de yoga, de taïchi et les cours de macramé. Toute l'humanité est à présent dans le "creative writing", mais personne ne lit de livre ! Ahhhhhh l'écritûûûre...! Oui. Et la lecture ? euhhhhhhh.......
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