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L'origine de la décivilisation

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
22 mai 2011, 23:45   Re : L'origine de la décivilisation
Cher Alain, de la même façon qu'il est fâcheux de confondre deux types de calme*, on ne doit pas confondre deux types d'agressivité : celle qui naît de l'incapacité à se maîtriser, à dompter la violence de ses instincts -- l'agressivité d'un être par trop excitable ou celle d'un être brutal -- et celle qui naît d'une plénitude de force tout à fait maîtrisée, qui obéit à la décision d'attaquer par nécessité -- l'agressivité de l'aigle, par exemple, ou celle d'un homme décidant de combattre pour sauver son honneur. La crainte ou l'inquiétude peut accompagner, dans les deux cas, l'expression de l'agressivité.

Aussi qualifier de nocente toute agressivité est-il sinon inique, du moins injustifié.

Soyez rassuré, l'amour de la brutalité, de l'agressivité non maîtrisée, est un sentiment qu'aucun véritable nietzschéen ne saurait éprouver. La brutalité gratuite, libérée du joug d'une quelconque loi, est toujours symptôme de décadence.

* « La confusion entre deux états totalement différents : par exemple le calme de la force, qui, essentiellement s'abstient de réagir, le type des dieux que rien n'agite... et le calme de l'épuisement, l'engourdissement jusqu'à l'anesthésie : toutes les procédures philosophico-ascétiques tendent au deuxième, mais ne pensent en fait qu'au premier... Car, à l'état ainsi atteint, elles attribuent les mêmes qualités que si c'était un état divin qui avait été atteint. » Nietzsche, extrait du fragment 14 [65], 1888.
Mais dans ces conditions, le bénéfice du ressentiment de la crainte sous l'espèce de l'in-nocence, selon vous, en tant que phénomène social, ne sera jamais réservé qu'à une infime minorité, négligeable au plan statistique, puisque assurément, ces êtres jouissant d'une plénitude de force dont vous parlez constituent une caste fort réservée, et très peu populaire, alors que les excités, les teigneux, les roquets, les femmelettes, les immatures, les ratés, les inaboutis, les informes, les ectoplasmes, et j'en passe, sont légion ? ...

Bref, si le degré d'in-nocence des individus dépend de leur type de réaction à la perception du danger, et que la première, la bonne réaction, ne peut advenir que chez un nombre fatalement très limité de personnes (de vrais nietzschens, il n'en court pas les rues tout de même), l'in-quiétude et la crainte multiplieront en fait les nocents et leurs nocences à un degré jamais atteint jusqu'à présent, et pratiquement invivable...
Utilisateur anonyme
23 mai 2011, 01:46   Re : L'origine de la décivilisation
Citation
Alain Eytan
Bref, si le degré d'in-nocence des individus dépend de leur type de réaction à la perception du danger, et que la première, la bonne réaction, ne peut advenir que chez un nombre fatalement très limité de personnes [...], l'in-quiétude et la crainte multiplieront en fait les nocents...

Un roquet muselé fait toujours moins de bruit qu'un roquet choyé.
La dégradation de l'environnement (en partie liée à l'exploitation frénétique des ressources) ne serait-elle pas inhérente à l'appropriation – au marquage – du territoire par la salissure, comme l'a analysé Michel Serres ?

C'est très probablement le contraire aujourd'hui, encore que l'on ne puisse exclure un feu croisé dans ce parcours de damné. Vous faites allusion à la "théorie des marques" de Michel Serres ? Or précisément, et je vous invite en cela à vous reporter au fil relatif aux sacs en plastique, c'est l'absence de marque qui caractérise le jetable. Le rasoir jetable par exemple, parce qu'il a honte de nous embarrasser de son cadavre (?), ose à peine dire son nom, comme préfère rester anonyme la palle noire de plastique fin qui pour avoir porté le bourrier comme parfois l'argent des marchandes et des marchands de bananes naines, s'en va ne jamais finir son existence en goudronnant de sa tache de raie imputrescible les plages de sable fin des Îles Marshalls, du Vanuatu ou de Kiribati (qui se prononce "Kiribass").

Le stade du marquage des territoires par les salissures, qui nous rapprochait encore du noble et sauvage animal semant ses fumées, est révolu: la merde anthropique désormais, n'a plus de nom.
L'incertitude quant à l'avenir pose cet avenir comme inconnaissable. Si cette incertitude-là est elle-même frappée d'incertitude, re-naît l'espoir que cet avenir puisse être connu.
Soit, cher Francis. Mais que l'on ne puisse jamais être certain d'avance de connaître l'avenir, avant qu'il n'advienne comme présent, c'est plutôt une certitude...
Utilisateur anonyme
23 mai 2011, 11:55   Re : L'origine de la décivilisation
Citation
Francis Marche
...c'est l'absence de marque qui caractérise le jetable. [...] Le stade du marquage des territoires par les salissures, qui nous rapprochait encore du noble et sauvage animal semant ses fumées, est révolu : la merde anthropique désormais, n'a plus de nom.

Francis, le propre de l'appropriation, si je puis dire, n'est-ce pas de marquer spécifiquement le territoire ? Une soupe dans laquelle je crache, pour je ne sais quelle absurde raison, reste propre pour moi, mais devient sale pour vous, à supposer que vous soyez à ma table. Dès lors qu'elle m'est étrangère, une marque m'est sale. Par conséquent, le jetable, produit spécifiquement humain, lorsqu'il est déposé ici ou là sur le territoire, doit être dit salissure de l'espèce homo sapiens, parce qu'il est étranger aux autres espèces. Que l'on passe de l'odeur individuelle aux traces visibles du groupe n'est pas une révolution, mais seulement une systématisation -- par externalisation et dépersonnalisation de la production de déchets -- du marquage par la salissure. L'œil, aussi bien que le nez, peut déceler le sale, c'est-à-dire l'approprié.

« Il n'est pas à sa place. C'est la définition même de la saleté : Quelque chose n'est pas à sa place. Un soulier est propre sur le plancher. Il est sale pour peu qu'on le pose sur la nappe parmi les fleurs, l'argenterie et les verres alignés. » Quignard, Les Ombres errantes, Dernier royaume I, Chapitre XXXIII -- Post tenebras

Un sac plastique gisant sur la grève n'est évidemment pas à sa place. Il s'ensuit que le jetable est encore plus sale que ne le sont les marques autonettoyantes des espèces végétales et animales sur la terre.
Une soupe dans laquelle j'ai craché est propre pour moi, sale pour vous

Euh...
23 mai 2011, 15:48   Shocking
Ah, vous aussi...
Utilisateur anonyme
23 mai 2011, 15:51   Re : L'origine de la décivilisation
Certes, la formule n'est pas très heureuse. Il arrive que la forme m'échappe, lorsque je cours après le fond. Pardonnez mes négligences, ce travers vient de loin : Socrate, déjà, cheminait sans souliers.
Non mon cher Henri Lequis, l'espèce échappe à la trace, aucun tigre, aucun homme ne laisse de trace ni pour l'espèce ni pour le clan. Le tigre, en disséminant ses fumées, oeuvre contre le tigre. L'homme oeuvre pour lui, comme le tigre, jamais pour l'espèce, et le salaud qui a conçu le rasoir jetable oeuvre contre la race, contre l'espèce humaine et pour son intérêt de sociétaire anonyme de son anonymat occulte et personnel. Le sauvage animal agit, dans ses fumées, pour supplanter ses semblables, et ainsi de l'homme qui jamais ne pollue l'univers pour promouvoir son espèce. Le dégueulasse, le maître-accoucheur de déchets, se paye contre l'espèce et se faisant rémunère sa pomme. L'homme, comme le tigre, est un traître à l'espèce. Il agit pour un compte individuel très occulte, très libéral-lilbertaire si vous voulez: le tigre hait le tigre. Le tigre ne ressent, pour le tigre, aucune forme de fraternité.

Contre la mort finale de l'humanité dans la fin de l'anthropocène, que propose un Edgard Morin? Un socialisme primitif. Or ce socialisme primitif, qui se revendique d'un générique de l'espèce, qui en voudrait aujourd'hui ? Personne. Chacun, chacune se prévaut beau tigre, belle tigresse et chie sur l'espèce.

Vous vous trompez très intelligemment mon bel Henri: l'espèce humaine, dans son économie du déchet, révèle sa nature tigrienne: l'espèce humaine déteste l'espèce humaine et l'homme-sale vote pour l'individu contre la classe occulte, inconnaissable, qui seule parle et se fait l'avocat inutile de l'environnement.
Utilisateur anonyme
23 mai 2011, 19:20   Re : L'origine de la décivilisation
Le vulgum pecus est fait de fourmis, non de loups ou de tigres, et la foule, certainement, salit plus que l'ermite.
Si la perte de la crainte annihile la civilisation, la crainte civilise-t-elle? Marcel Meyer en doutait. Rectifier quelque peu le tableau tronqué de l'humanité archaïque, totalement démunie, tremblante devant les dieux et les sorciers, peut aider l'homme moderne à retrouver la civilisation, sous l'instance de la crainte mais encore de la connaissance.

De comprendre le fonctionnement du monde (du moins, du monde maîtrisé), les modernes tirent un sentiment de puissance. Ils en déduisent que l'incompréhension de ses fonctions suscitait un tremblement de crainte devant les forces naturelles qui poussait à demander grâce aux dieux. A un problème technique (le fonctionnement du monde), on apportait une solution métaphysique. Cette réponse inadéquate ne pouvait résister indéfiniment aux progrès techniques. A mesure que l'homme élargit autour de lui son domaine, le reste du monde appelé à entrer dans sa nasse n'inspira plus la crainte. Les dieux n'avaient plus raison d'être. Factices, ils disparurent. On préféra inventer des machines (et aussi des récits, des concepts, des théories) que des dieux.
Ce déroulement tient de l'illusion rétrospective. D'un autre point de vue, on pourrait observer que ceux qui ne comprennent plus l'origine du monde en tirent un sentiment de puissance, quand ceux qui en comprennent l'origine en éprouve un tremblement de crainte. L'ignorance des modernes autant que leur savoir rend intrépide. La compréhension des primitifs autant que leur ignorance rend craintif.
Qu'est ce qui est premier: la réponse aux exigences du monde ou l'expérience originaire du monde?
Du Veda (les dieux sacrifièrent le sacrifice par le sacrifice), on conclut aisément.
On note aussi un biais dans le déroulement canonique: comment inventer à partir de rien? D'où viennent les dieux? Comment passe-t-on de la crainte au rite, si la majesté n'est pas avant la crainte inscrite dans le monde, si la crainte n'est pas cela qui révèle cette majesté?
La crainte de susciter leur courroux explique que l'on rende aux dieux ses inventions. Mais, il y a aussi un motif inverse: la peur d'ouvrir la boîte de Pandor. L'archaïsme est choisi car la technique est, en son principe, alors même que son degré de développement est quasi nul, déjà reconnue comme une source de chaos et d'ignorance. Notons que le développement de la technique ne ruina la civilisation qu'à compter du jour où elle cessa de se juger sacrilège.
Pandor, ce héros magyar injustement oublié !
» L'ignorance des modernes autant que leur savoir rend intrépide.

En effet, cher Pierre Henri, considérez Sisyphe : il n'y comprend rien, et dans sa moderne revisitation revendique cette incompréhension haut et fort, en fait une passion, la seule qui soit véritablement à sa mesure. Il se grandit de l'ampleur de ce qu'il ne comprend pas.
Mais Sisyphe n'est pas un sentimental, il n'éprouve ni crainte ni peur, et raille même l'inconcevable adversité qui se joue de lui ; c'est un athlète qui crache son mépris dans le noir.
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