La France, c'est nous-nous, nous-nous, c'est moi-moi en série. Et c'est moi-moi en série, qui dit ce qui est.
Car l'individu a bien du mal à faire société, ça le rend moraliste.
« La religion de l'individu (…) est le seul lien qui nous rattache les uns aux autres (…) Ainsi l'individualiste, qui défend les droits de l'individu, défend du même coup les intérêts vitaux de la société. » Durkheim cité par Dupuy dans « La marque du sacré ».
Comme son mentor, la génération morale, celle de 1986, entend fonder la société sur la morale (la sienne). Cette morale sacralise l'individu, nouvelle idole. L'aura de mystère qui entoure cette idole (fabriquée en série) déterminerait donc nos rapports les uns aux autres ; ne pas faire justice à une seulement de ces idoles serait le sacrilège, qui ferait vaciller tout l'édifice social.
Mais, l'acharnement de cette même génération à diaboliser le Front national dénonce sa prétention moraliste : apparemment, la bonne vieille présence d'un bouc émissaire resserre beaucoup plus sûrement ses propre rangs que les droits de l'homme. Le sacré déserte l'individu pour identifier collectivement les droits de l'hommiste à l'humain en opposition à l'inhumanité de la Bête et de ses suppôts.
Second démenti. Pour que règne son idole (censée fonder la société), il lui faut, d'abord, un grand renfort de diversitude et de démystification pour atomiser la société existante, qui, de toute évidence, se passait donc bien de la nouvelle morale.
En fait, la religion de l'individu pouvait faire illusion tant qu'elle bénéficiait des derniers feux de la religion collective, qui conférait à l'individu un peu de dignité. Le spectacle de l'atomisation, c'est-à-dire la profanation des dernières formes collectives sacrées, a, par propagation, atteint la religion de l'individu. L'individu est bien moche. Peut-être sentent-ils qu'on ne saute pas à l'eau sauver un homme (ou un chien) de la noyade parce qu'il est sacré, mais par amour pour cet être bien réel, aussi moche redevient-il (l'homme plus que le chien) dès qu'il commence de sécher. Comment l'individu désacralisé va-t-il bien pouvoir faire société à partir de cette intuition bien crue de la réalité?
En la niant et en singeant l'amour : pour être bien vu, je-je doit parler de lui à son voisin je-je qui doit répondre en parlant de lui. C'est l'effusion obligatoire, le festivisme de rigueur qui ne comprend pas que l'entente sociale n'a pas besoin pour être de la contribution de chacun, que l'individu doive porter à bout de bras la société, qu'il n'ait d'autre choix que la solitude renfrognée ou l'euphorie socialisante.
Au fond de tout cela, il y a le mal d'être. Pour que ce défaut d'être ne devienne nihiliste, destructeur, et pour accomplir, surtout, la promesse qui se loge en lui, il faut retourner le mal : cet autre qu'être croît par le don et le pardon.
L'individu ne fait pas société. C'est bien plutôt l'inverse. Mais l'antique solution, le sacré (aussi beau soit-il), a parti lié avec la violence (notamment celle faite à l'intelligence, à la réalité). Suivons donc Dupuy, qui s'efforce pour que l'actuelle désacralisation n'emporte pas avec elle l'idée de transcendance : l'auto-régulation des marchés, l'autonomisation de l'action par rapport aux intentions des acteurs... Élargissons sa pensée au spirituel (Levinas, Marion, Saint Augustin, Henry, le... bouddhisme? avec nos « Chinois » de Paris), au politique (abdication collective du pouvoir par un nouveau contrat social, par exemple), au social (un visage sous couvert d'un masque, d'un rôle social). Bref, restaurons, en toute rationalité, hors du sacré (qui reviendra bien de lui-même au galop), les formes multiples de l'hétéronomie pour la liberté, pour l'autonomie morale de la personne.