Je viens de faire la compilation des résultats des élections de juin 1951, qui ont eu lieu suivant le régime du double collège.
Les électeurs du premier collège (Français de souche européenne, Français de souche israélite (décret Crémieux) et Français de souche musulmane ayant renoncé au statut personnel coranique) sont au nombre de 533 341. Cela est à comparer au "million de pied-noirs", sachant que les estimations du nombre d'électeurs musulmans du premier collège est de l'ordre de 100 000 (on ne peut le connaître, par définition, puisqu'ils n'ont plus de statut personnel), ce qui laisse donc à peu près 430 000 électeurs non musulmans.
A quoi tient cette différence ?
D'abord au fait que la population de l'Algérie Européenne est jeune (sans doute plus jeune que celle de la France en général de la même année, où les moins de 21 ans représentent 33.6%, 21 ans étant l'âge auquel on peut voter).
Ensuite, au fait que parmi les Européens d'Algérie présents en juin 1951, il y a bon nombre d'étrangers (surtout parmi les gens âgés, donc électeurs potentiels), essentiellement Espagnols, Italiens et Maltais.
Si on considère maintenant les "grands départements", on voit qu'il y a :
- département d'Alger (dans ses limites de 1951, donc comprenant Médéa, Orléansville et Tizi-Ouzou), électeurs du premier collège, 228 219, du second collège 451 157, soit 33% d'électeurs du premier collège ;
- département d'Oran (dans ses limites de 1951, donc comprenant Mostaganem, Tiaret et Tlemcen), électeurs du premier collège 190703, du second collège 301 412, soit 39% d'électeurs du premier collège.
Dans le reste de l'Algérie, comprenant à peu près 45% de la population, il n'y a que 114 419 électeurs du premier collège.
Si on considère maintenant que pour Oran et Alger sont comptés des arrondissements quasi-totalement musulmans, comme Tlemcen et Tizi-Ouzou, on comprend dès lors que les pieds-noirs de l'Algérois et de l'Oranie n'ont pas le sentiment d'être aussi minoritaires que cela. C'est surtout vrai dans cette population adulte, car la population musulmane est beaucoup plus jeune.
En fait, il y a une Algérie côtière, d'Alger à Oran, où les européens et les musulmans du premier collège sont en nombre à peu près égal à celui des musulmans de droit coranique, et une autre Algérie, des terres et de l'est, qui est d'une majorité musulmane écrasante.
Un autre facteur est à prendre en compte : l'importance de la population Kabyle (les musulmans d'Alger sont lagrement Kabyles, pas Arabes).