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Prix littéraires 2011 : triomphe du politiquement incorrect ?

Envoyé par Thierry Noroit 
Vu par un certain bout de la lorgnette, le palmarès des "grands" prix littéraires (à ce jour) peut aussi se lire comme la revanche du politiquement incorrect :

1 - l'éditeur (au sens très fort du terme) de L'Art français de la guerre, chez Gallimard, est Richard Millet, qui se trouve
ainsi confirmé dans sa position de faiseur de roi de premier ordre puisqu'il était aussi pour beaucoup - euphémisme -
dans le couronnement des Bienveillantes il y a cinq ans. La situation de Richard Millet chez Gallimard se trouve ainsi
renforcée, elle n'a d'ailleurs jamais été contestée puisque même son excellent confrère Philippe Sollers s'applique
à chanter ses louanges. Rien de "désastreux" dans l'activité professionnelle de Richard Millet, bien au contraire.

2 - le lauréat du Prix Renaudot Emmanuel Carrère est certes trop bien élevé pour s'écarter visiblement de la norme
officielle, mais enfin il n'a jamais renié son amitié ancienne pour Renaud Camus ni caché l'admiration qu'il voue
à son oeuvre. De plus Edward Limonov, le sujet bien vivant du livre primé, est tout, lui, sauf un rebellocrate ou
un mutin de Panurge, pour parler comme Philippe Muray. Edward Limonov ne pourra jamais être récupéré. Sa
déclaration à l'AFP, dès qu'il a appris que Carrère venait d'être couronné, est bien rafraîchissante : "J'éprouve du
plaisir, de la joie et même une joie méchante. C'est comme si j'étais un écrivain mort et oublié depuis vingt ans et
que maintenant on me redécouvrait. La société et l'opinion française qui voulaient que je sois politiquement
correct ont dû finalement m'accepter tel que je suis grâce à ce livre."


3 - Et enfin, le lauréat moins "médiatisé" du Prix Renaudot de l'essai n'est autre que Gérard Guégan, voisin de Renaud
Camus dans le Gers si je ne me trompe - cela ne dirait rien de son incorrection politique ! - pour un livre intitulé
Fontenoy ne reviendra plus. Et ce Fontenoy, ma foi, est encore un personnage bien réel, oublié du plus grand nombre,
presque une sorte de pendant français de Limonov pour les années 1930-1940, également écrivain et politique
séditieux, dans les marges extrêmes de la marge.

Bref, à côté de l'Art français de la guerre, l'art russe de la guérilla avec Carrère-Limonov et la version la plus sombre possible de nos années sombres avec Guégan-Fontenoy.
La preuve que les dissidents et les victimes de la doxa ne sont pas ceux qu'on pense...
Je n'irai pas jusque là. C'est un triomphe paradoxal. L'adversaire (multiforme) a des absences...
Cher Buena Vista,

En quoi cet Art français de la guerre est-il politiquement incorrect ? Pour la seule raison que Millet l'édite ?
Cher Orimont, exactement. Je n'ai pas lu le livre et ne compte pas le faire, par égard pour mes orteils... En revanche, oui, il est significatif que Richard Millet soit à nouveau le conseiller littéraire d'un prix Goncourt.
En offrant à Richard Millet un travail qui lui permet de gagner sa vie, la maison Gallimard remplit son rôle et soigne ses intérêts en employant un bon éditeur (conseiller littéraire). Cela ne fait pas de l'attribution d'un prix à un ouvrage édité par Millet un geste politiquement incorrect et encore moins un triomphe de cette façon de penser. S'ils avaient attribué le prix à La fiancée libanaise ce serait différent.
D'accord avec Marcel et je dois dire que la position de Richard Millet est, au mieux, paradoxale.
J'aime beaucoup Richard Millet mais je crains qu'il ne joue un double jeu. Dans l'institution, et en soi-disant en marge. Serait-il une sorte de rebellocrate de droite ?
Bruno,

On est en novembre, il fait frais et il pleut, je comprends qu'une assiette de soupe soit fort agréable.
Je ne comprends pas votre plaisanterie, Jean-Marc... Et puis froid en deçà, chaud au-delà... vous savez, dans le Minnesota...
L'expression "aller à la soupe" est du Général, elle décrit assez bien ce genre de comportement.
13 novembre 2011, 23:21   Grand prix de la coquille
Tant qu'à "faire des rois", Richard Millet pourrait profiter de sa position pour refaire des correcteurs, lesquels ont diminué comme peau de chagrin dans les maisons d'éditions. Cela permettrait d'éviter de lire dans son dernier roman ce genre de choses, page 325 :

"[...] elle qui me regardait m'enfoncer dans la nuit après le repas que nous avions pris sous les tilleuls du jardin et qui avait été somptueux, et arrosé de l'arak apporté par la jeune Libanaise dont j'avais fini par rêvé qu'elle soit ma femme [...]"

Palourde mise à part, ce roman ne m'a pas transporté. Rien n'est plus enivrant que les longues phrases, encore faut-il qu'elles fassent oublier la besogne, ce qui ne m'a pas paru être le cas avec celles de Millet. De plus, le romancier peine à mater l'essayiste.

(Corrigé, je suis.)
14 novembre 2011, 03:11   Plus libanais...
Il me peine qu'on apprécie à ce point l'arak mêlé de femme et qu'on n'ait point veillé à conjuguer le verbe de la dernière phrase à l'imparfait du subjonctif...
Citation
Orimont Bolacre
Palourde mise à part, ce roman ne m'a pas transporté. Rien n'est plus enivrant que les longues phrases, encore faut-il qu'elle fasse oublier la besogne, ce qui ne m'a pas paru être le cas avec celles de Millet. De plus, le romancier peine à mater l'essayiste.

Ah, cher Orimont, les longues phrases méritent quand même, elles aussi, un petit accord !
Ah ah ! Tel est pris qui croyait prendre ! Où va se nicher le manque de correcteur ! Me voilà corrigé...
C'est fou cette histoire là, je suis convaincu qu'à chaque fois que je me permettrais de reprendre mon prochain, je me ferai moi-même reprendre. Dites, cher Alain, en travaux pratiques appliqués, ça donnerait quoi ?...dont j'avais fini par rêvé qu'elle soit fusse ma femme, c'est ça ?
Non : qu'elle fûsse été ma femme. Allons.
Vous avez raison, Eric. Dans le cas de ma palourde, l'acte manqué (faire une grosse faute quand on en signale une), a procédé d'une hésitation de ma part entre écrire "La longue phrase etc" et "Les longues phrases etc."

En guise de pénitence, je m'inflige le recopiage d'une phrase de La fiancée libanaise :

" "La question sexuelle était devenue entre Mathilde et mon frère une affaire qu'il fallait régler d'une manière ou d'une autre, chacun le savait mais préférait laisser les choses en l'état, dans un suspens dont ils devinaient qu'il était préférable au passage à l'acte, lequel a souvent quelque chose de désespéré quand l'amour n'y est pas ou que le désir n'est pas immédiat ni également partagé n'est-ce pas..." poursuivait ma soeur en supposant chez la visiteuse une expérience que celle-ci n'avait peut-être pas, à vingt-trois ou vingt-cinq ans, et à propos de quoi je me demandais quelle était celle de ma soeur, sur qui ma position d'auditeur, sinon de voyeur, en tout cas fantomatique, me donnait une perspective inédite car, je le répète, cette femme, sans m'être rien, m'avait en quelque sorte voué sa vie, et je ne savais presque rien d'elle, au moins de sa vie amoureuse; une vie dont elle ne m'avait jamais parlé et dont je n'avais rien voulu savoir, jusqu'au jour où la visiteuse me révélait une femme inconnue, bien plus audacieuse que la soeur taciturne et austère que je m'étais donnée, la visiteuse se révélant également audacieuse, pouvais-je dire de cette jeune Libanaise dont je ne connaissais que la silhouette et la voix, et que j'imaginais tout à la fois savante et innocente, comme tant de jeunes femmes d'aujourd'hui, et cependant discrète, sinon pudique, ne répondant rien à ma soeur sur la dimension artistique du sexe, à quoi elle se promettait de penser tout à loisir, le même soir, dans sa chambre d'hôtel, imaginais-je, après s'être regardée dans le mauvais miroir de l'armoire en faux acajou dressé face à son lit et devant lequel, ce miroir, elle ne pouvait dormir ni laisser la porte ouverte, car cela porte malheur, dit-on, et le recouvrant donc d'une robe pendue à un cintre qu'elle avait accroché au faîte de l'armoire afin de ne pas voir surgir de l'eau du miroir son propre reflet, celui qu'elle avait contemplé entre les barreaux du lit, quand elle s'était allongée, nue, pour tirer d'elle-même un plaisir qu'on a tort de dire solitaire car il convoque toutes les figures de nos songes, une main experte pouvant faire naître plus de plaisir qu'un partenaire plus ou moins habile, et un doigt ouvrant quelquefois le monde, pensais-je, sur mon propre lit, tandis que ma soeur en revenait aux fleurs et à la musique, et à l'importance qu'elles avaient pour Mathilde Dombrecht."

Ouf ! Que chacun en juge.
Je vous souhaite une très, très bonne semaine, cher Orimont ainsi qu'à ceux qui vous sont chers.
« Non : qu'elle fûsse été ma femme. Allons. »
Alors vous, le p'tit Bily, vous êtes toujours rien qu'à compliquer les choses. Qu'en dit Alain ?
Chez Millet il y a toujours ces béquilles (pas forcément au sens péjoratif...) avec lesquelles se maintient la phrase que constituent les pensais-je, les disait-elle, les pensait-elle avant de... On entame la phrase en croyant qu'elle traduit la pensée du narrateur, mais ce genre d'incises infirme aussitôt l'impression de départ, en attribuant le début de la phrase à la pensée d'un personnage. Je conçois que cela puisse paraître un peu voyant et peut-être répétitif comme procédé.

(Cher Eric, voyons...)
Anne effet !
Personnellement, je n'ai jamais beaucoup apprécié le style de M. Millet.
J'ai beaucoup aimé le Millet de "Lauve le pur". et de " la Gloire des Pythre. A cette époque sa longue phrase sinueuse produsait un effet hypnotique assez envoûtant . Et puis peu à peu , il me semble qu'elle s'est alourdie, a perdu de sa grâce et de sa magie.
14 novembre 2011, 20:19   En el medio esta la mejor stacion
Qu'elle fût, Eric.

Je vous donne la règle : "si le verbe de la proposition principale est à l'un des temps du passé ou du conditionnel, le verbe de la proposition subordonnée se met à l'imparfait du subjonctif pour exprimer une action future ou simultanée, et au plus-que-parfait du subjonctif pour exprimer une action déjà faite..."

Quant à Millet, je me souvins de cet extrait qu'avait cité M. Lesquis : « C'est le mode de l'hypothétique, de l'aléatoire, du subjectif et, en quelque sorte, celui du désir : mais quel usage les contemporains font-ils du désir ? Que pèse leur vanité de libérés face à la divinité grammairienne ? De là que l'on hésite, que l'on ne sait plus, que l'on penche pour le réducteur indicatif lorsque la construction ne demande pas le subjonctif (et c'est bien là affaire d'amour, parfois difficile : George Sand déjà se plaignait qu'on ne pouvait ni employer ni négliger l'imparfait du subjonctif). »

L'arak est rapidement capiteux et très sensuel ; je bois moi-même de grandes quantités d'une eau-de-vie remarquable confectionnée à Amman, qui est de plus un philtre à renverser toutes les Moyen-Orientales, si cela vous tente.
Pardon Alain, mais dans ce cas précis, j'aime à croire que c'est Millet qui a raison: espéré qu'elle fût ma femme, ou regretté qu'elle le fût, certes, mais rêvé qu'elle le soit, et non qu'elle le fût. Percevez-vous la nuance ? et reconnaissez-vous avec moi les raisons de cette exception ? Le rêve, s'il s'autorise à commander le subjonctif comme ici lorsqu'il s'agit d'amour ou de désir ne le peut pas aussi bien dans les autres cas (*j'ai rêvé qu'elle soit princesse est grammaticalement douteux). Dès lors que le verbe rêver est employé au sens métonymique d'espérer, la coquetterie est libre et les règles du subjonctif que vous énoncez n'ont pas à s'appliquer aussi strictement que si c'était le verbe espérer dans sa forme pleine qui était utilisé, et l'apparente "faute d'accord" en devient une grâce de style. Une faute gracieuse, en littérature, n'est pas une faute.
L'idée selon laquelle le caractère facultatif de l'emploi d'un mode, laissé au sens de ce que l'on veut exprimer, comme une liberté et une grâce soit signifié par un certain relâchement, un vêtement qui baîlle, dans la conjugaison du verbe vis-à-vis des règles strictes qui devraient la déterminer est une jolie idée, en soi gracieuse, que j'accepte volontiers...

(Mais c'est aussi affaire de circonstance et d'humeur : avec un whisky bien raide, des femmes plus maîtresses et sous des climats plus froids, l’éventualité désirante aurait au contraire dû forcer le trait et s'incarner dans une plus grande soumission aux règles qui figurent ce souhait et l'ordonnent dans le temps.
Enfin, partout et d'une façon générale, le mode accoutumé de l'expression d'un désir se manifeste par un durcissement ; "rêvé qu'elle fût" n'est pas en soi choquant, loin de là, à moins d'être vraiment bégueule...)
Merci bien, Messieurs Stéphane, Alain et Francis. Comment se fait-il que je maîtrise si mal ce genre de concordance mais que j'apprécie tant les disputes sur le sujet ? Je me rappelle quelques échanges entre Francis et Renaud Camus par lesquels il apparaissaient que Francis, tout en connaissant très bien les règles, était toujours prêt à s'en affranchir si c'était au bénéfice d'une création stylistique [ce qui correspond bien à ce que j'ai pu percevoir du tempérament de la personne que j'ai eu la très grande chance de croiser]
Dans ce cas, la nuance n'est-elle pas entre imparfait du subjonctif et plus-que-parfait du subjonctif ?
Citation
Cassandre
J'ai beaucoup aimé le Millet de "Lauve le pur". et de " la Gloire des Pythre. A cette époque sa longue phrase sinueuse produsait un effet hypnotique assez envoûtant . Et puis peu à peu , il me semble qu'elle s'est alourdie, a perdu de sa grâce et de sa magie.

C'est tout à fait exactement mon impression (avec une préférence pour La Gloire des Pythre)
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