Vu par un certain bout de la lorgnette, le palmarès des "grands" prix littéraires (à ce jour) peut aussi se lire comme la revanche du politiquement
incorrect :
1 - l'éditeur (au sens très fort du terme) de L'Art français de la guerre, chez Gallimard, est Richard Millet, qui se trouve
ainsi confirmé dans sa position de faiseur de roi de premier ordre puisqu'il était aussi pour beaucoup - euphémisme -
dans le couronnement des Bienveillantes il y a cinq ans. La situation de Richard Millet chez Gallimard se trouve ainsi
renforcée, elle n'a d'ailleurs jamais été contestée puisque même son excellent confrère Philippe Sollers s'applique
à chanter ses louanges. Rien de "désastreux" dans l'activité professionnelle de Richard Millet, bien au contraire.
2 - le lauréat du Prix Renaudot Emmanuel Carrère est certes trop bien élevé pour s'écarter visiblement de la norme
officielle, mais enfin il n'a jamais renié son amitié ancienne pour Renaud Camus ni caché l'admiration qu'il voue
à son oeuvre. De plus Edward Limonov, le sujet bien vivant du livre primé, est tout, lui, sauf un rebellocrate ou
un mutin de Panurge, pour parler comme Philippe Muray. Edward Limonov ne pourra jamais être récupéré. Sa
déclaration à l'AFP, dès qu'il a appris que Carrère venait d'être couronné, est bien rafraîchissante : "
J'éprouve du
plaisir, de la joie et même une joie méchante. C'est comme si j'étais un écrivain mort et oublié depuis vingt ans et
que maintenant on me redécouvrait. La société et l'opinion française qui voulaient que je sois politiquement
correct ont dû finalement m'accepter tel que je suis grâce à ce livre."
3 - Et enfin, le lauréat moins "médiatisé" du Prix Renaudot de l'essai n'est autre que Gérard Guégan, voisin de Renaud
Camus dans le Gers si je ne me trompe - cela ne dirait rien de son incorrection politique ! - pour un livre intitulé
Fontenoy ne reviendra plus. Et ce Fontenoy, ma foi, est encore un personnage bien réel, oublié du plus grand nombre,
presque une sorte de pendant français de Limonov pour les années 1930-1940, également écrivain et politique
séditieux, dans les marges extrêmes de la marge.
Bref, à côté de l'Art français de la guerre, l'art russe de la guérilla avec Carrère-Limonov et la version la plus sombre possible de nos années sombres avec Guégan-Fontenoy.