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Au refrain, camarades

Envoyé par Thomas Rhotomago 
09 novembre 2011, 23:58   Au refrain, camarades
Alors même que les inégalités de fortune n’ont rien perdu de la réalité qu’elles eurent de toute éternité, notre époque semble se distinguer par un fait proprement inédit dans l’histoire : la disparition d’une classe oisive éclairée. Riches il n’y pas moins que jadis – et même très riches – pauvres il y a toujours – même si un peu moins pauvres, quoi qu’on dise – mais plus personne, dans nos sociétés, pour oser assumer le devoir d’oisiveté sans mauvaise conscience. Or, c’est bien aux membres des classes oisives d’autrefois que nous devons autant qu’aux classes laborieuses, et même plus, du point de vue du fameux « être au monde ». Que ces classes aient disparu n’est pas pour rien dans les progrès de la « décivilisation ».

« L’oisif ira loger ailleurs » s’égosille-t-on dans un couplet de l’Internationale. Sur ce point, le communisme l’aura emporté et l’oisiveté sera devenue la maladie honteuse du siècle. Cette injonction morale à exciper d’un travail rémunérateur est rigoureusement suivie, plus rigoureusement encore par ceux que la naissance et la fortune désignaient pour cultiver ou inventer les formes heureuses d’une oisiveté bien tempérée, formes d’autant plus impératives à rechercher à l’heure du progrès technique. Tout au contraire, ceux-là même qui, en quelque sorte, devraient montrer l’exemple, n’ont que « le fruit de leur travail » à la bouche, font étalage de leur overbookage comme jadis de titres de noblesse, parasitent sans vergogne le monde du travail, occupant les places de choix, au détriment de ceux qui ont vraiment besoin de gagner leur vie. C’est eux qui mériteraient l’appellation d’ « actifs toxiques ». Ce n’est pas leur fortune ou leur héritage qui sont odieux, mais cette prétention ridicule et malsaine à se croire obligés de « bosser » comme tout le monde, et plutôt plus que tout le monde, prétention qui masque un vide existentiel abyssal et, de surcroit, s’accompagne de leçons de morale données aux « assistés ».

Ceux-là, ah si seulement on pouvait les faire disparaître d’un coup de baguette magique indolore pour la conscience collective ! Ce n’est pas par philanthropie qu’on leur sert chichement la soupe sous forme d’une rente hypocrite de type RSA à vie, c’est parce qu’on ne peut pas faire autrement, qu’on sait pertinemment qu’ils sont devenus encombrants, inutiles à la production de quoi que ce soit. Que personne d’à peu près sensé ne croit sincèrement en son for intérieur au « retour du plein emploi » n’empêche pas d’en maintenir la fiction et la campagne électorale qui s’annonce ne manquera pas, tous partis politiques confondus, d’enfourcher encore cette malheureuse chimère.

En attendant, « classe oisive » en formation il y a tout de même, à la pointe du progrès, mais elle croît dans la mauvaise humeur, l’hypocrisie et l’aigreur mutuelles et non comme classe de qui on pourrait attendre quelque chose. Ainsi les « assistés », les petits rentiers sociaux « par défaut » cultivent-ils une forme de revendication hargneuse, de paresse morale, de confusion intellectuelle, de goût pour la distraction inconsistante, et, enfin, d’appétence nihiliste pour n’importe quoi. De leur côté, les travailleurs contemporains qui, par leurs cotisations, financent les « assistés » ne sont pas moins prêts à s’aigrir. Il faut croire que le bénéfice moral qu’ils devraient retirer de leur travail, cette « réalisation de soi » à nulle autre pareille qu’on lui prête à longueur de temps ne suffit pas à les rendre magnanimes.

Nul doute que ces « assistés » appartiennent à la famille d’Homo Festivus, fameuse raillerie inventée par Philippe Muray pour désigner un type d’individu contemporain chargés de tous les ridicules. Comme il est aisé de se complaire à dauber sur ce malheureux Festivus ! Dans la plupart de ses manières et de ses idées il n’est pas spécialement séduisant, ce n’est que trop certain. On lui préférerait sans doute un laborus. Mais pour cela, peut-être eût-il fallu ne pas tout lui enlever des mains. Ce serait un sacré taf, dresser l'inventaire des gestes qu'il est désormais inutile de savoir exécuter. On voudrait croire que ce réservoir de gestes, qui a toujours distingué l'espèce humaine, se déplace mécaniquement vers d'autres pratiques. On voudrait croire que le temps et l’effort épargné par chaque nouvelle technique se transporte tout naturellement vers une autre activité ; que tous ceux, par exemple, qu’occupaient le transport hippomobile ont été versés dans l’activité ferroviaire. Au début, et même le temps de plusieurs décennies, cela a pu faire illusion. Mais à chaque transfert, il y a un reste, on ne transfère jamais dans la nouvelle activité liée à un progrès technique la totalité du temps et de l’effort vaincu dans celle qui disparait et ce reste finit un jour, le nôtre, par devenir un excédent insupportable, qu’on ne parvient plus à reconduire sous forme d’une nouvelle activité, sauf en s’inspirant des Shadocks qui « pompent toujours », dans une consciencieuse absurdité. Ainsi croît et se multiplie ce mauvais drôle d'Homo festivus, l’homme festif de trop, le « sale gosse » partisan capricieux de la prétendue idéologie du « tout, tout de suite ».

A ne pas vouloir pas reconnaître Homo Festivus, à n’en faire qu’une victime consentante de la prétendue idéologie du « Tout, tout de suite », de quelle ingratitude fait montre l’époque à l'égard de son rejeton naturel ! Elle s'obstine à nier qu'il soit bien d'elle (ce qui rend au moins cohérent qu'elle ne s'engage par dans son éducation.) Elle le laisse alors grandir au petit bonheur la chance, « l’assiste » avec ressentiment, le laisse vaguer d’activités « culturelles » en apéro géant, dans l'entretien pathétique de cette fiction du retour d’un labeur nécessaire et utile, à hauteur du plus grand nombre d'heures possibles, du plus grand nombre d’années et cela pour tous, sans la moindre exception. Voilà ce qu'on imagine pour lui, tout en le privant jour après jour, par quelque trouvaille technique, du sentiment de sa déjà très relative utilité. Après quoi, il ne reste plus qu’à ricaner de ses bouffonneries, ce qui, en effet, n’est pas bien difficile.

Qu’espère-t-on ? Que les bénéficiaires des minima sociaux, les précaires ou les « bosseurs » artificiels qui forment le gros des troupes de Festivus tiennent salon comme les Guermantes ? Encouragent les arts et les lettres, la conversation, façonnent un nouvel art de vivre, de nouvelles distinctions, alors que personne ne leur en a donné la mission ni ne les y a préparé par l’éducation ?

Un doute finit par naître. Les dirigeants que nous nous donnons, à bouts de ressources, ne préféreraient-ils pas, sans se l’avouer, que cette population de déçus et d’encombrants qu’ils ont la charge d’administrer, si bien disposés à médire de la modernité à la façon du toxicomane maudissant sa came sans pouvoir s’y soustraire, que cette population de gêneurs soit finalement occupée à prier cinq fois par jour, à trier le pur et l’impur entre deux bidouillages électroniques, soit finalement encadrée par la chiourme d’une religion rétrograde mais loin d’être incompatible avec le consumérisme et qui n’attend que cela, qu’on lui passe la main, laissant le champ libre et le soin de faire « tourner la machine » à une caste d’actifs toxiques, d’experts, de techniciens, nouvelle aristocratie du taf à durée illimitée ?

Que veut-on ? Décrier vainement Homo festivus en lui déniant l’éducation et en ne lui offrant pour tout horizon qu’un « plein emploi » que personne n’est en mesure de lui fournir ? Ou chercher à trouver en lui de quoi fonder une nouvelle classe oisive éclairée, indispensable à toute civilisation ? Ou pour en finir le laisser se transformer en Homo islamicus tenu en respect par ses nouveaux maîtres ?

Il y a bien une quatrième voie, dont le principe peut venir à l’idée de l’usager d’une ligne d’autobus ordinaire qu’empruntent quotidiennement les travailleurs handicapés mentaux d’un ESAT (Etablissement et Service d’Aide par le Travail). Il arrive ainsi que l’on ait l’occasion de les voir grimper dans le bus, leur journée de travail terminée, et de faire avec eux un bout de trajet. Ils n’ont pas le statut de salarié et ne peuvent donc pas être licenciés, tout au plus dirigés vers d'autres structures s'ils ne s'adaptent pas, s'ils posent un problème. Ils travaillent en groupe, exécutent des tâches assez simples et néanmoins productives, soumises aux règles du marché, à un certain rendement, non à fin d'exploitation très rentable, encore moins de création de profits, suppose-t-on, mais, sans doute, de responsabilisation par le travail.

Nous voyageons ensemble, sur cette ligne d'autobus ordinaire, nous, les sains d'esprit et eux, les déficients, mais très vite, les frontières s'estompent entre les uns et les autres. Quelqu'un qui n'aurait pas ses habitudes sur telle ligne ne remarquerait en montant dans ce bus que les trisomiques, minoritaires, et, peut-être, quelques visages aux traits mal proportionnés, au maintien bizarre ou parcouru de tics. Il n'imaginerait cependant pas que ce bus est rempli au trois-quarts d'handicapés mentaux.

De fait, cette jeune fille absurdement boudinée dans un corsage bien trop court pour elle d'où débordent de pneumatiques bourrelets tandis qu'elle s'amuse à des mouvements de bouches avec son chewing-gum, sort-elle d'un ESAT ou d'un lycée ? Et celui-là, dont les seules épaules s'appuient contre le dossier, les fesses en bout de siège, jambes en compas écarté, rien ne dit qu'il soit sain d'esprit, ou plutôt, au contraire, tout indique qu'il l'est, les déficients mentaux, souvent prudents et craintifs, observateurs des règles, se calant normalement sur leurs sièges et, au final, se tenant mieux. Se tenant mieux, d'ailleurs, dans la plupart des occasions de la vie publique, encadrés qu'ils sont et par une puissante pharmacopée et par une série de gestes conventionnels desquels ils ne s'émancipent guère, une fois qu'ils sont parvenus à s'y conformer. Ils sont eux-mêmes plus que quiconque, n'étant même qu'eux-mêmes, sans pour autant produire aucun des débordements du “soi-mêmisme”, parfaitement innocents, en somme.

Au village cette fois, il arrive aussi au passant de croiser un autre groupe de travailleurs handicapés mentaux qui forment une « brigade » d'entretien des espaces verts chargés du débroussaillage, de la construction de barrières champêtres, de la peinture de rambardes et d'autres menus travaux du même genre. Le jugement porté sur eux par les villageois est on ne peut plus positif et l’on s’avise soudain qu'il y a beau temps que l’on n’a pas entendu éloges si unanimes, distribués à un groupe de jeunes au travail. Et qu'apprécie-t-on chez eux, sinon, précisément, l'absence d'agressivité qui va souvent jusqu'à la jovialité bon enfant, l’obéissance et, de la part des responsables, un art de les diriger fondé sur l’écoute, la juste appréciation des possibilités de chacun et l’exercice d’une autorité reconnue ? Les voici, nos « braves petits gars » d'antan et leurs chefs d’équipe pleins de doigté ! De fait, la compassion pour leur handicap entre de moins en moins dans les commentaires. Au contraire, s'entend plutôt comme l'idée d'un exemple à suivre. Ah ! Une extension du domaine de l’ESAT appliquée aux « assistés », sous l’œil vigilant des minarets, quel remède souverain pour en finir avec les singeries d’Homo Festivus et régler la question de l’emploi ! Les actifs toxiques pourraient en rêver…

Il est vrai qu’introduire dans le « Tout, tout de suite » de notre temps, dans l’oisiveté qu’il produit nécessairement, ce que Barthes appelle la « discipline fructueuse », suppose un vrai travail, beaucoup d’audace et de courage… Ne pas oser entreprendre cette tâche au nom d’une définition du travail devenue malsaine et anachronique nous menace de biens étranges lendemains…

Mais bien sûr la guerre, la bonne vieille guerre, est toujours prête à offrir ses services quand on ne sait vraiment plus quoi faire.
10 novembre 2011, 00:31   Re : Au refrain, camarades
Marcel Proust avait de quoi vivre jusqu'à la fin de ses jours sans travailler mais il n'aimait pas perdre son temps D'une façon générale, je crois que les gens qui pourraient se permettre d'être oisifs n'ont pas eu le temps de se doter de clefs indispensables. La course au fric ne laisse aucun répit.
10 novembre 2011, 09:59   Re : Au refrain, camarades
Merci, cher Orimont, pour ce beau texte si pertinent que je ne vais pas manquer d'envoyer à plusieurs de mes connaissances.
10 novembre 2011, 10:04   Re : Au refrain, camarades
Oui, Orimont est en grande forme. et sur bien des points je suis entièrement d'accord avec lui, mais on en revient toujours à la même question : comment faire longtemps accepter à ceux qui travaillent d'entretenir les oisifs ? l'islam risque bien d'être, en effet, la solution sauf que la culture est en général la dernière préoccupation des oisifs musulmans.
10 novembre 2011, 22:32   Re : Au refrain, camarades
"Marcel Proust avait de quoi vivre jusqu'à la fin de ses jours sans travailler mais il n'aimait pas perdre son temps", moyennant quoi, il a très vite pris la chambre.
10 novembre 2011, 23:02   Re : Au refrain, camarades
Cher Orimont, les chiffres du chômage me paraissent contredire la thèse générale que vous défendez sur le travail et sa disparition effective ou masquée. Les écarts sont si importants entre pays développés qu'il me semble ainsi démontré qu'on n'assiste pas à une crise du travail comme notion dépassée, à revoir fondamentalement, mais à une crise de la compétitivité dans les pays à fort taux de chômage.

cf statistiques du chômage en Europe :



[www.touteleurope.eu]
11 novembre 2011, 10:08   Re : Au refrain, camarades
Chère Ostinato,

Merci d'avoir pris la peine de me prouver que les statisticiens et autres infographistes ont du pain sur la planche, ils moisonnent des chiffres et font des camemberts, preuve d'un transfert réussi des ouvriers agricoles vers d'autres activités.

Plaisanterie à part, quelques remarques :

Il faudrait d'abord savoir ce que chaque pays entend par "population active". Qui en fait partie, qui en est retiré et ne compte plus. Je ne crois pas que tous en ait la même définition, pas plus, d'ailleurs, que celle de "chômeur".

Appliquez le principe de cette carte d'Europe à chaque pays isolément et vous obtiendrez le même résultat et pourrez conclure : les régions françaises présentent de grande différences face au chômage, preuve que certaines sont plus compétitives que d'autres, conclusion qui ne changerait absolument rien à la situation générale du chômage en France.

Ainsi, ce serait une question de "compétitivité". En quels domaines ? industriels ? tertiaire ? agricole ? autre chose encore ? Et dans ces domaines d'activité s'illustreraient brillamment l'Autriche et les Pays-Bas ? Il faut leur demander leur secret. Quel genre de travail compétitif ont-ils offert à leurs habitants ?
11 novembre 2011, 10:15   Re : Au refrain, camarades
C'est effectivement à voir et à étudier ce qui permettrait de déterminer quelle est la bonne version. Il doit exister d'ailleurs des analyses sur la question.
11 novembre 2011, 10:21   Re : Au refrain, camarades
Pour aller dans votre sens sur le site [www.inegalites.fr] il est indiqué :

Les comparaisons sur le chômage doivent cependant être considérées avec précaution : le niveau de chômage ne permet pas de connaître la qualité ou le niveau de précarité de l’emploi. Selon la définition internationale (voir encadré), il suffit d’avoir travaillé une heure dans la semaine de référence de l’enquête pour ne pas être considéré comme chômeur. Un pays qui compte de très nombreux "petits boulots", très précaires, peut avoir un taux de chômage faible mais une situation de l’emploi très dégradée. De même, dans certains pays, la situation du marché du travail est tellement dégradée que les personnes en âge de travailler sont découragées de se porter sur le marché du travail : elles n’apparaissent alors plus comme "actives" dans le calcul du taux de chômage alors qu’elles pourraient souhaiter travailler dans de meilleures conditions (voir encadré).
11 novembre 2011, 11:44   Re : Au refrain, camarades
"Dans tous les pays européens, le chômage touche tout particulièrement les plus jeunes avec un taux supérieur à 20 % dans de nombreux pays.
A l’inverse, les personnes âgées de 50 à 64 ans semblent moins touchées. Au niveau européen, le taux est de 6,9 %."


C'est que les jeunes sont fainéants et les vieux travailleurs, voilà tout. Et surtout, n'allez pas la ramener avec votre bon sens puéril, votre simplisme, il ne faudrait surtout pas croire, bêtement, que les gens qui ne partent pas à la retraite occupent des places qui pourraient être prises par des jeunes, non, ça, c'est vraiment idiot, c'est beaucoup plus compliqué que ça. D'ailleurs, dans le monde du travail contemporain, c'est toujours plus compliqué que ça, c'est le lieu même du toujours plus compliqué que ça, il faut renoncer à voir ce qu'on voit, ce qu'on vit, sortir sa calculette et se tailler une bonne tranche de camembert tatistique, la déguster sur sa terrasse en observant DEUX travailleurs occupés à démolir plusieurs centaines de mètres carrés de bâtiments construits dans les années 70, l'un, aux commandes d'un formidable engin qui, en une semaine, aura tout grignoté dans ses mâchoires d'animal préhistorique, l'autre, aux commandes d'un tuyau d'arrosage luttant contre la poussière. C'est un gros chantier.
11 novembre 2011, 12:20   Re : Au refrain, camarades
Bonjour Orimont,
dans votre analyse, vous semblez avoir oublié l'éthique protestante, source de cette morale du travail. Il est amusant de voir toute notre société prétendue "cynique" et "rebelle" dominée par des mots d'ordre moraux : le travail, la famille (le culte du mariage, de la descendance, y compris pour les gays qui veulent aussi former des familles classiques...), la patrie qui doit figure dans les valeurs dominantes, sous la forme du désir d'appartenance (équipes de foot, entreprises...). Le sacré et les sujets tabous se multiplient : il faut respecter les religions, l'Autre, les valeurs (ce terme de "respect" est lui aussi bien symptomatique, et renvoie à un Ordre sacral : c'est le sacré qui inspire le respect!). Bref, on se demande ce que notre époque reproche tant à Pétain ; en dehors de son antisémitisme, les valeurs tradis sont vues comme un horizon indépassable, et la rebellitude n'existe que dans les looks, pas dans ce qui constitue l'essentiel de la vie.
Néanmoins la critique de la "valeur-travail" revient par la gauche, du côté de ceux qui prônent un revenu universel sans contrepartie en travail immédiatement productif...
11 novembre 2011, 13:44   Re : Au refrain, camarades
Orimont,

Considérez Montaigne : il est l'exemple même de cette classe cultivée, il fut tout sauf oisif.

Claudel, qui n'est pas sans culture, déploya une énergie considérable lorsqu'il fut en poste aux Etats-unis :

[books.google.fr]
11 novembre 2011, 13:55   Re : Au refrain, camarades
Imaginez Claudel au Sofitel !
Au refrain !
11 novembre 2011, 14:00   Re : Au refrain, camarades
Florentin,

Je me rends compte que le Sofitel est dangereusement proche de Saint-Patrick...
11 novembre 2011, 14:41   Re : Au refrain, camarades
On ne se comprendra jamais là-dessus, Jean-Marc. Je n'ai jamais prétendu que les classes oisives d'antan se roulaient les pouces ! Vous, et la plupart des contemporains, tenez à tout prix à rendre synonyme "oisiveté" et "désoeuvrement", tout comme rendre équivalent "travail" et "agitation".

Le premier janvier 1996, Renaud Camus inaugure avec humour son journal : "Aujourd’hui tout le monde travaille. Les acteurs ne jouent plus, désormais ils travaillent. La princesse de Galles divorce, mais elle veut rester princesse de Galles comme devant, et surtout continuer son travail, c’est-à-dire l’accomplissement de ses fonctions officielles qui lui sont échues du seul fait de son statut d’épouse du futur roi d’Angleterre. Comme il y a de moins en moins de travail, tout devient travail. « Je n’ai pas travaillé aujourd’hui », dit le constructeur de corps qui n’est pas allé à son cercle de gymnastique. « Pourtant il faudrait que je travaille mes cuisses… »


"Comme il y a de moins en moins de travail, tout devient travail."

Comme il y a de plus en plus d'oisiveté, rien ne doit plus être oisif.
11 novembre 2011, 14:48   Re : Au refrain, camarades
Montaigne était magistrat, Claudel était diplomate.

Comment nommer cela ? une occupation ?

Quand Auguste dit à Cinna :

Ose me démentir, dis-moi ce que tu vaux,
Conte-moi tes vertus, tes glorieux travaux


S'adresse-t-il à un laboureur ?
11 novembre 2011, 15:03   Re : Au refrain, camarades
Mais, à la fin, nommez-moi les Montaigne et les Claudel qui pompent aujourd'hui de 18 à 80 ans dans les conseils d'administration, l'industrie, les cabinets, les maisons d'édition, les ministères, les assoces, les journaux, les médias, et feraient mieux de vider la place et d'aller s'occuper de leurs terres ou de leurs plaisirs, comme faisaient la plupart des membres des classes oisives du temps jadis. Faut-il une statistique pour le prouver ?

Il y avait dans ces classes autant de Montaigne et de Claudel que dans les "basses classes" d'aujourd'hui de tueurs de petite fille.
11 novembre 2011, 15:08   Re : Au refrain, camarades
Commencez déjà par me nommer les Montaigne et les Claudel d'aujourd'hui, je vous dirai ce qu'ils font.

La définition d'oisif par Littré est fort simple : Qui ne fait rien actuellement.

Considérez Finkielkraut : professeur à l'X, chroniqueur... le trouvez-vous oisif ?
Utilisateur anonyme
11 novembre 2011, 15:38   Re : Au refrain, camarades
Ce ne sont pas des causes rationnelles, mais psychologiques, qui sont à l'origine du surmenage contemporain : dans toute société en grande et rapide mutation, l'agitation est naturelle. Vous croyez perdre l'équilibre si vous n'avancez pas lorsque le décor, lui, se meut. C'est analogue au caractère épidémique des mouvements de panique.
11 novembre 2011, 17:23   Re : Au refrain, camarades
Claudel dans les conseils d’administration (Gnome et Rhône), ça lui a valu des ennuis judiciaires qui ont empoisonné sa vieillesse. Il eût mieux fait de rester oisif.
11 novembre 2011, 18:33   Re : Au refrain, camarades
La définition du Littré est un peu courte. Qui ne "fait rien" ? Qu'est-ce que "faire" ? Est-ce travailler, écrire, peindre, méditer, écouter de la musique, imaginer, se reposer ? Faire, est-ce produire, bouger, participer à la vie économique ?

L'oisiveté est en réalité la forme la plus accomplie, la plus noble du faire. Elle crée les conditions de l'acte créateur*. Montaigne a commencé ses essais dans l'oisiveté; ils lui ont demandé, selon ses propres mots, plus d'effort que ses fonctions de magistrat. Le travail n'est que la partie utile et sociale du faire. Il est généralement aussi mécanique, absurde et faux que la société où il s'effectue.

* Par là, j'entends tout acte qui contribue à la création de soi et à l'épanouissement de ses facultés, c'est bien plus large que l'activité artistique à proprement parler.
11 novembre 2011, 19:03   Re : Au refrain, camarades
« Il faut en France beaucoup de fermeté et une grande étendue d’esprit pour se passer des charges et des emplois, et consentir ainsi à demeurer chez soi, et à ne rien faire. Personne presque n’a assez de mérite pour jouer ce rôle avec dignité, ni assez de fonds pour remplir le vide du temps, sans ce que le vulgaire appelle des affaires. Il ne manque cependant à l’oisiveté du sage qu’un meilleur nom, et que méditer, parler, lire, et être tranquille s’appelât travailler. » (La Bruyère)
13 novembre 2011, 01:36   Re : Au refrain, camarades
"(...) réapprendre à ces paresseux de Français à tenir une pioche comme leurs ancêtres,(...)" préconise Pierre-Henri sur un autre fil. Est-ce pioche symbolique ou bonne vraie pioche et, dans ce cas, je voudrais savoir la dernière fois que Pierre-Henri a vu piocher quelqu'un.
13 novembre 2011, 02:15   Re : Au refrain, camarades
Une vraie de vraie j'imagine ; les pioches symboliques ne donnent guère d'ampoules.

«Travail obligatoire pour tous ; création d'armées industrielles. » Patatra ! Je cite de mémoire, du Manifeste, mais quand je lus ça pour la première fois, je faillis, de saisissement, en avaler la plaquette...
29 novembre 2011, 20:37   Re : Au refrain, camarades
« La notion même de travail est en train de pourrir, avec ce qu'elle impliquait de conquérant et de productif : dans ce monde déjà tourné et retourné de fond en comble, le travail ne s'attaque presque plus nulle part à la nature brute, mais uniquement au travail humain précédent. De quoi était pour moi le symbole la destruction, que j'observais l'été dernier, des villas grotesques et touchantes de La Baule, remplacées une à une par des ensembles de béton : le travail exécuté et déjà pensé par la machine anéantissait le travail que la main a accompli, que le rêve même pauvre et la fantaisie même indigente a inspiré. L'instinct sent qu'une perversion particulièrement maligne, et qui tôt ou tard, obscurément, sera punie, s'attache à cette rage de défaire pour refaire, qui tourne à vide et ne moud rien.

Je rêve quelquefois d'un nouveau Sermon sur la Montagne, qui ferait briller aux yeux du monde, avant qu'il soit trop tard, l’éminente dignité non plus des pauvres, qui s'éloignent, mais des Paresseux.
Tant de mains pour transformer ce monde, et si peu de regards pour le contempler ! »

Gracq, Lettrines
29 novembre 2011, 23:02   Re : Au refrain, camarades
Ah oui, cette dernière exclamation est une de mes phrases de chevet.
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