Retour à la recherche en histoire. Dans le mensuel NEF, cet entretien avec l'historien Reynald Secher.
Reynald Secher réalise, depuis plus de vingt ans, un travail remarquable surl’histoire des guerres de Vendée. Il publie aujourd’hui un nouveau livre qui fait l’effet d’une bombe dans le paysage de l’histoire officielle, en apportant toutes les preuves d’un génocide organisé.
La Nef – Dans quelles circonstances avez-vous commencé vos recherches sur les guerres de Vendée et pourquoi ce choix ?
Reynald Secher – Tout est dû à ma rencontre avec un professeur hors du commun : Jean Meyer. J’étais son étudiant en troisième année d’histoire à l’Université de Haute-Bretagne et comme j’étais fasciné par ses cours, tant au niveau du contenu que de la forme, je l’ai sollicité pour être mon directeur de mémoire pour la maîtrise. Il venait d’être élu à Paris-IV Sorbonne et ne voulait plus d’étudiant breton. J’ai tellement insisté et argumenté que, de guerre lasse, il m’a accepté moyennant la condition que je le suive à Paris.
Restait le problème du sujet. C’était un professeur attentif et il avait remarqué que j’étais un Breton de la rive gauche de la Loire par mon père et Vendéen par ma mère. C’est lui qui m’a proposé ce sujet, que j’ai refusé pour des raisons personnelles : c’était pour moi un sujet familial et tabou dont on parlait entre nous mais pas au-delà. Il m’a convaincu au nom de la recherche scientifique, me disant qu’il lui semblait que cette affaire n’était pas très claire et que personne à l’Université ne s’était posé les questions de fond, notamment celle de la nature de la répression.
Nous avions deux possibilités : soit travailler globalement la Vendée militaire, soit faire un carottage. Nous avons opté pour cette deuxième solution car je devais essayer de voir s’il existait encore une tradition orale forte et une documentation au-delà de celle des archives. Tout naturellement nous avons retenu mon village natal, La Chapelle-Basse-Mer, commune riveraine de la Loire, située à la frontière bretonne et au nord de la Vendée militaire. Il a été estomaqué par le fruit de mes recherches et notamment par le fait que je pouvais évaluer les bilans, tant humains qu’immobiliers. Qui plus est, en raison de ma polyvalence universitaire, j’avais créé une méthode d’investigation et d’analyse très spécifique qui me permettait de faire une recherche très approfondie. C’est cette méthode que j’ai utilisée pour ma thèse d’État sur le génocide.
En 1986, vous avez publié Le génocide franco-français, la Vendée-Vengé : comment ce livre a-t-il été perçu ?
Je tiens à préciser d’abord que lorsque j’ai commencé ma recherche, je ne pensais le sujet qu’en termes de guerre civile. Ce n’est qu’en découvrant les lois d’extermination et d’anéantissement, les écrits des contemporains républicains et vendéens, que je me suis posé la question de la nature de la répression et que je suis arrivé à la conclusion du génocide. Le contexte à l’époque était très passionnel car la France de Mitterrand se préparait à commémorer le bicentenaire de la Révolution. Cependant, contrairement à ce que certains ont écrit, je n’ai eu aucune difficulté dans le cadre de mes recherches. Bien au contraire, les conservateurs des Archives et les détenteurs privés de documents m’ont ouvert toutes grandes les portes.
Les problèmes ont commencé une semaine avant la soutenance : on a cambriolé mon appartement pour me voler ma thèse, puis le lundi suivant un homme prétendant agir au nom du gouvernement m’a proposé mon silence moyennant 500 000 francs et un poste à l’Université. J’ai refusé. Là encore, contrairement à ce qui a été écrit, j’ai pu soutenir ma thèse sans problème. Ce n’est qu’une année plus tard, suite à sa publication aux PUF et à l’émission de Bernard Pivot, le 11 juillet 1986, que mes problèmes ont commencé. J’ai dû donner ma démission de l’Éducation nationale et ma vie est devenue un véritable calvaire. Je raconte très précisément les choses dans un ouvrage intitulé La désinformation autour des guerres de Vendée et du génocide vendéen, édité par Fol’Fer. Quant aux médias, que dire, sinon que dans l’ensemble ils se sont déchaînés en me condamnant. Rares ont été les journalistes d’envergure courageux comme Georges Suffert, Louis Pauwels…
Quelle est la définition du génocide ? Pourquoi ce terme peut-il s’appliquer au massacre des Vendéens ?
Le génocide est l’acte qui consiste à arracher la vie à un groupe de personnes données non pas pour ce qu’elles ont fait, mais pour ce qu’elles sont.
Un mot ou l’absence de mot n’est jamais innocent. Il a fallu attendre la Convention de Nuremberg pour qu’enfin ce crime contre l’humanité soit défini. Certains, comme Gracchus Babeuf, au nom des droits fondamentaux de l’homme, avaient en leur temps bien vu que ces crimes étaient anormaux, mais faute de vocabulaire, de référence et de jurisprudence ils n’avaient pas pu aller au-delà de ce constat et de la dénonciation des crimes qu’ils voyaient. Ce n’est que grâce au génie et à l’obstination d’un juriste polonais, Lemkim, qui a créé le néologisme « génocide », que le droit international a pu définir ce crime et le sanctionner.
En fait, il y a trois crimes de génocide : la conception, ou/et la réalisation ou/et la complicité tant dans la conception ou/et la réalisation de l’extermination partielle ou totale d’un groupe humain de type politique ou/et ethnique ou/et racial ou/et religieux. Dans le cas de la Vendée, nous avons les crimes de génocide qui s’appliquent. Il y a bien eu conception, de surcroît collective car votée, réalisation collective car tant les politiques que les fonctionnaires, dont les militaires, ont œuvré sur le terrain pour « éradiquer du sol de la liberté cette race impure ». Quant aux sujets concernés, il s’agit bien d’un groupe humain de type politique et religieux. On tue le Vendéen car Vendéen, c’est-à-dire chrétien.
Vous avez beaucoup travaillé sur la question des responsabilités dans ce génocide. Quelle est la thèse officielle et quelle est la vérité ?
Officiellement, la Vendée n’est qu’une guerre civile avec des horreurs commises de part et d’autre. Certains universitaires, de nos jours, vont même jusqu’à dire et écrire que la Vendée avait été justement punie car traître à la nation. D’autres prétendent que, s’il y a eu des massacres, ils ne sont dus qu’à certains généraux, comme Turreau, qui ont agi sans ordres : ils n’hésitent pas à parler de dérapages. Si vous voulez vous faire votre propre opinion sur cette question, lisez les livres scolaires : c’est un véritable scandale qui dépasse l’entendement.
La réalité est tout autre. Ce sont les membres du Comité de Salut public qui ont conçu ce génocide et l’ont fait voter par la Convention. J’ai retrouvé l’écrit original de la loi du 1er octobre 1793 en date du 27 juillet. Ce sont les membres du Comité de Salut public, personnellement, qui décident et mettent en œuvre l’épuration de l’armée qui refuse ce génocide. Ce sont eux qui, sur le terrain, exécutent et font exécuter la loi d’extermination et d’anéantissement. Ce sont eux encore qui nomment Turreau général en chef de l’Armée de l’Ouest avec un programme précis ainsi que les officiers supérieurs. Ils sont si impliqués qu’ils vont même jusqu’à créer un plan, dit de masse, le 11 novembre, afin d’arriver plus rapidement aux objectifs qu’ils se sont fixés. J’ai retrouvé tous les écrits originaux signés par eux-mêmes. Les noms que nous retrouvons le plus souvent sont ceux de Carnot, Barère, Robespierre… Ces documents se trouvent aux Archives nationales et militaires. J’ai mis scrupuleusement les références afin que les lecteurs puissent les consulter.
Vous publiez aujourd’hui un nouvel ouvrage intitulé Vendée : du génocide au mémoricide. Qu’apporte-t-il de nouveau sur la question ?
La Convention de Nuremberg n’aborde pas le problème de la mémoire et de sa possible manipulation. Il est vrai qu’à l’époque tous les participants sont gênés par cette question car aucun n’est vierge en la matière, que ce soient les Américains avec les Indiens, les Anglais entre autres avec les Boers, la France, entre autres avec la Vendée. Quant aux Soviétiques, n’en parlons même pas. Conséquence : très rapidement on a assisté, et ce dès les années 60, à la négation des grands crimes de la Seconde Guerre mondiale, notamment celui du génocide juif, sanctionnés par la Convention. Chaque pays traite à sa manière le problème, faute de réflexion globale et de référence. J’avais d’ailleurs soulevé ce problème de fond en 1989 dans un livre publié chez Odile Jacob, intitulé Juifs et Vendéens, d’un génocide à l’autre, avec comme sous-titre la manipulation de la mémoire. À la fin d’un colloque, un de mes amis juifs m’a demandé de réfléchir sur cette question, d’autant plus que j’avais la matière, le recul et que j’avais créé le mot de « mémoricide ». Le mémoricide peut se définir comme un crime contre l’humanité qui consiste à nier, relativiser ou encore justifier un génocide, partiellement ou totalement.
Au-delà de la Vendée, j’ai voulu comprendre comment cette question était abordée dans les autres pays et j’ai constaté nombre de comportements similaires. Quoi qu’il en soit, la problématique est la même partout : si on sait discerner les génocides, on est empêtré dans le problème de la mémoire car on ne comprend pas le pourquoi du comment. Ce livre, qui est d’une très grande rigueur intellectuelle, non seulement donne les grilles de lecture mais aussi les moyens pour lutter contre le mémoricide, quels que soient les enjeux personnels, locaux, régionaux, nationaux, voire internationaux.
Votre livre bouleverse la lecture de l’histoire de la Révolution. Comment appréhendez-vous les réactions qu’il risque de susciter ?
Nous en avons longuement parlé entre nous, c’est-à-dire avec Stéphane Courtois et l’éditeur. Comme le demande Me Gilles-William Goldnadel dans son introduction, où est le scandale ? « Au niveau de celui qui relate et réfléchit sur les faits patents ou au niveau de celui qui les nie, les relativise, les justifie, voire les glorifie ? N’est-ce pas cela que l’on appelle négationnisme ? Pourquoi ce qui est vrai pour le génocide des Juifs et des Arméniens ne le serait-il pas pour le génocide des Vendéens ? » Qui plus est, comme il le dit là encore : « Reste le problème de l’imprescriptibilité qui fait qu’à la verticalité de l’Histoire se substitue l’horizontalité du droit. Là encore, ce qui est vrai pour l’un, comme le génocide des Arméniens, doit être vrai pour les autres et bien entendu pour celui des Vendéens. Nous ne pouvons pas nous permettre de rester silencieux, au nom de la Vérité, d’autant qu’une telle attitude est une source d’espérance pour les bourreaux et leurs héritiers et de désespérance pour les victimes et leurs descendants. » La question de fond est la suivante : pourquoi l’Université n’avait-elle pas fait ce travail avant et, bien entendu, pourquoi m’a-t-elle exclu à la suite de mon travail tout en soutenant les négationnistes ? Quant aux politiques dont les références restent encore la Terreur, le Comité de Salut public et des hommes tels que Robespierre et Carnot, ils ne se rendent pas compte que non seulement, de facto, ils sont complices de ces génocidaires, mais qu’en même temps ils sont négationnistes.
Propos recueillis par Florence Eibl
(1) Reynald Secher, Vendée, du génocide au mémoricide, Mécanique d’un crime légal contre l’humanité, Cerf, coll. « Politique et démocratie », 2011, 446 pages, 24 e.