Sur la musique...et les Muses, petit extrait d'un texte relu hier pour l'occasion.
Il est significatif que le nom même de la musique soit dérivé de celui des Muses, ces déesses président à toutes les activités intellectuelles et artistiques de l’homme : c’est que la musique apparaissait vraiment aux Grecs comme la partie essentielle et comme le meilleur symbole de toute culture. L’homme cultivé, en effet, c’est le
nousicos anèr. Thémistocle reconnaissait que son éducation avait été incomplète, parce qu’il n’avait pas appris à jouer convenablement de la cithare. Nous disons que « la musique adoucit les mœurs », mais elle était pour les Grecs la condition première de la civilisation, et tout modification apportée à la technique musicale leur semblait dangereuse et capable de modifier l’équilibre moral de tout le corps civique, de l’Etat tout entier. On sait quelle importance primordiale les Pythagoriciens donnaient à la musique dans leur conception de la vie humaine et du monde, conception fondée sur l’harmonie universelle des nombres régissant les intervalles musicaux ; en cela, Pythagore et ses disciples n’ont fait que suivre et développer par la science une tendance naturelle de l’homme grec.
L’enchantement, au sens fort de ce mot, qu’éprouvaient les Grecs à l’audition d’une belle musique est exprimé d’admirable façon sur des vases peints, notamment sur un cratère du musée de Berlin qui représente Orphée jouant de la lyre et chantant en présence de quatre Thraces, visiblement subjugués : on a proposé avec raison pour cette scène le nom de « triomphe de la musique ». D’autres peinture de vases, celles des lécythes funéraire à fond blanc, nous montrent fréquemment, devant la stèle d’un tombeau, un jeune homme, tantôt assis, tantôt debout, qui chante en s’accompagnant de la lyre au milieu d’un groupe de personnes qui paraissent l’écouter dans un religieux silence.
C’est là, a-t-on dit, l’offrande musicale que les survivants font aux parents ou à l’ami qui n’est plus. Il faut à ce pauvre corps, qui est censé continuer à vivre sous la terre, autre chose que des libations : il lui faut le plaisir de l’esprit. Voilà pourquoi, jusque dans la tombe, on s’applique à le réjouir en lui faisant parvenir le son des mélodies qui l’ont enchanté pendant sa vie.
Robert Flacelière,
La vie quotidienne en Grèce au siècle de Périclès, Hachette, 1966, pp.126-127.