Chers Innocents,
Adhérent de très fraiche date, ceci est ma première contribution, et les règles du savoir-vivre voulant que l'on se présentât à minima dans un espace commun, je le ferais ici brièvement, sans m'étaler trop sur ma personne.
J'ai quitté la France il y a une dizaine d'années pour vivre et travailler au Canada, en Allemagne et au Portugal. Ma résidence principale est à Heidelberg en Allemagne. Je me considère comme un exilé idéologique ayant fui un pays dans lequel je ne me reconnaissais plus. Je ne supportais plus le misérabilisme provocateur, l'ignorance satisfaite, l'invective et l'insulte propagés à tous les niveaux, et pas seulement dans les quartiers perdus de la République. Rien ne m'avait incité jusque là à revenir dans l'arène sanglante du débat d'idées, et à quitter par la pensée mes chères forêts de l'Odenwald, jusqu'à ce l'existence du PI me fût révélée incidemment, je suppose comme beaucoup d'autres qui vivent à l'étranger, par l'écoute balado-différée de M. Camus chaque fois qu'il est reçu par M. Finkielkraut.
De mon expérience, je retiens que la problématique du Grand Remplacement se présente sous une perspective assez différente selon le pays européen ou occidental où l'on se trouve. Ma thèse ici sera qu'il y aurait une spécificité française tenant au déni et à l'irréalisme propre à sa classe intellectuelle et universitaire, à la prégnance idéologique de la nouvelle petite-bourgeoisie culturelle maintenant au pouvoir et surtout à l'origine ethno-géographique et au volume global de son immigration musulmane, ceci dans un contexte européen plus général dite de la Grande Repentance.
Pour dire les choses autrement, certes l'Europe n'en finit pas de se morfondre à propos de son XXe siècle ou de se repentir à avoir fondé la civilisation dans laquelle nous vivons, mais seule la France (ainsi que la Belgique et les Pays-Bas) serait véritablement confrontée à une entreprise de colonisation délibérée, encore que comme le soutînt Malika Sorel, la cause en France en serait plus le renoncement généralisé des élites, du fait de la déculturation et du renoncement à la transmission de la culture bourgeoise au sens de R Camus, et que la colonisation se fait avant tout dans les têtes par l'abandon des références culturelles, des bonnes manières, des modes de vie et jusqu'à l'art de vivre traditionnel à la française. Le Grand Remplacement ne tiendrait pas tant à la présence d'une forte minorité musulmane sur le territoire français mais au fait que la grande majorité des Français a dores et déjà renoncé à son identité culturelle en adoptant nombre des codes et habitus importés du sud de la Méditerranée. Ce serait une colonisation idéologique et culturelle avant que d'être populationnelle. Je ne dois pas être très original car peut-être M. Camus avait déjà tout dit, et en beaucoup mieux, mais vous voudrez bien pardonner de répéter ce que je n'ai pas pu encore lire, ayant eu quelques difficultés à me procurer les deux opuscules afférents. Mon intervention se veut surtout un témoignage sur ce que j'ai observé et étudié, entre autres dans le cadre de recherches, à l'étranger.
Le Portugal ne connait aucune sorte d'immigration arabe et musulmane mais une immigration modérée (3 %), quoique qu'assez mal tolérée, venue des anciennes colonies brésiliennes, angolaises, capverdiennes... Pourtant la repentance fait aussi son oeuvre là-bas. J'ai ainsi entendu de ces Portugais que j'admire tant pour leurs Grandes Découvertes et qui sont les plus nordiques des latins revendiquer leur identité héritée de la colonisation arabe (longue d'à peine trois siècles pourtant) au détriment de toutes les autres: romaines, vandales, wisigothes, galiciennes, franques, juives...
L'immigration turque en Allemagne a fort peu à voir avec l'immigration musulmano-africaine en France. D'abord elle est trois fois inférieure et puis les Turcs travaillent, étudient, réussissent assez bien (pas seulement dans le foot et le showbiz). Quand les Turcs peuvent s'enorgueillir d'un passé glorieux et d'une civilisation brillante, jusqu'au processus de sécularisation et d'érection d'un État-nation moderne sous Atatürk, les Maghrébins et les Sahéliens n'ont aucun passé qu'ils puissent revendiquer, à part s'envelopper dans la tunique d'infamie des victimes et jeter aux gémonies ceux-là qui les ont colonisés et civilisés, et finalement ne trouver à se réifier qu'en reconstruisant une identité musulmane fantasmagorique, fondamentaliste, sectaire et violente dont ils ne trouvent même pas modèle en leurs parents. Enfin, lecteur et admirateur de Dumézil, je crois que l'on ne peut faire semblant d'ignorer qu'ethniquement, linguistiquement, génétiquement les Turkmènes sont des Indo-européens et qu'il existe un patrimoine culturel commun très ancien. L' assimilation des turcs allemands prendra du temps certes, tout simplement parce que l'Allemagne n'a pas renoncé, elle, à son idéal assimilateur et que l'assimilation peut requérir deux ou trois générations et aussi parce que l'Islam sort renforcé du fait que la liberté de la pratique religieuse est véritablement sacrée dans un pays qui fut autrefois ravagé par des guerres de religion qui lui coutèrent son unité, sa prospérité et certainement deux siècles de retard dans l'édification de son État-nation.
Les sorties d'Erdogan encourageant ses concitoyens à ne pas renoncer à leur racines turques me semblent surtout attester du fait que l'assimilation des turcs en Allemagne est bien à l'oeuvre, Mme Merkel ayant aussi soulignée qu'on ne veut pas en Allemagne de ce multiculturalisme qui a fait tant de ravage en Grande Bretagne ou aux Pays-Bas. Naturellement la repentance fait aussi des dégâts, en particulier à l'encontre de la haute culture allemande, que l'on semble accuser de n'avoir pas pu, ou su, s'opposer à la dictature hitlérienne (le peuple allemand qui fut le plus éduqué et le plus cultivé qui soit...) outre qu'il a fallu par admettre que les nazis n'étaient pas ces barbares et païens que l'on aurait voulu qu'ils soient. Impossible par exemple de voir une mise en scène opératique ou théâtrale qui ne cédasse pas à l'esprit de modernité morne, grise et triste du temps, empruntant autant à l'univers de Kafka qu'à celui de la Stasi). À la haute culture est préféré du reste les réjouissances footballistique et festive des Techno- et autre Love-parade. La repentance ne s'exerce cependant pas avec cette fureur de vos sans-culottes adeptes de la tabula rasa parce que conserver n'est ici pas un gros mot, et je peux vous assurer que les Allemands n'ont aucun doute sur leur identité nationale, non celle par laquelle ils ont dû en passer entre 1870 et 1945, pour advenir à leur propre modernité démocratique et que les Français s'obstinent encore à retenir contre eux, mais la longue tradition d'ouverture, de bonhomie, de libéralité, de commerce pacifique et d'État de droit remontant aux libertés communales et aux libertés de l'Empire, sept longs siècles durant.
Quant au Canada, je mentionnerais, juste pour faire court, qu'il est bien difficile d'imaginer une forme autre que celle de l'organisation multiculturelle du vivre-ensemble. Les deux peuples fondateurs canadiens se voient submerger par une immigration massive sensée faire doubler le nombre de la population tous les 30 ou 40 ans (rappelons qu'à 35 M d'habitants le Canada est le moindre des pays du G8 pour un territoire des plus grands). Il faut sortir des grandes métropoles pour retrouver de cette identité british qui a ma préférence (je recommande Victoria sur la côte Pacifique délicieusement marquée par la civilité ou la common decency orwellienne) ou l'identité francocanadienne que l'on aime. Le culturalisme ethnique québécois aura bien du mal à survivre au multiculturalisme niveleur même si certains intellectuels (la commission Taylor-Bouchard) s'essayèrent à vouloir le repeindre aux couleurs de "l'interculturalisme". Au Canada on s'accommode de tout pour arriver à faire vivre ensemble des communautés qui au mieux s'ignorent, au pire se font la guerre, avec toutefois ce sens anglais de la modération dont on parvient à imprégner les immigrants dès leur arrivée grâce à de très efficaces politiques d'intégration.
Nation de nationalités, le Canada s'échine à vouloir se construire une identité nationale sur le modèle mineur étatsunien du "daily patriotism" (le drapeau, la feuille d'érable, le hockey, l'hiver, la neige, la forêt boréale,...). Il y faudra du temps. Les Musulmans, au nom du multiculturalisme, ont voulu faire reconnaitre, comme les Juifs orthodoxes, le droit à user de leurs préceptes religieux en matière familiale. La sharia ou le talmud s'appliquent donc en partie, mais sans le dire, ce qui est assez canadien. Là s'arrête le prosélytisme musulman. Il n'y a aucune espèce de colonisation ce qui pose tout de même, en dehors de la France, le problème de la pertinence du concept générique de Grand Remplacement. Par les exemples allemands et canadiens, on soulignera aussi l'inapplicabilité de la notion française de laïcité, abstraction inopérante telle qu'on les aime en ce pays: les lois, le droit positif d'un pays se fondent sur une histoire; le Code civil, les paysages, la civilité ne se comprennent pas sans les racines chrétiennes de la France... Dès lors, il s'agit de considérer qui l'on veut bien accepter comme étrangers, qui est assimilable et qui ne le sera pas...
Pardon pour cette propédeutique fort longue mais qu'il m'a semblé nécessaire afin de me présenter intellectuellement à vous...