J'ai cherché dans le précieux manuel de sumérien de John L. Hayes le nom que l'on donne à l'Ouest dans les textes. Même quand le sumérien cessa d'être parlé, on continua de l'écrire, à la façon du latin en Europe, et d'employer en akkadien et autres langues sémitiques ce que l'on appelle des "sumérogrammes", des mots sumériens que chacun prononçait, d'ailleurs, selon son bagage linguistique. En somme la période sumérienne s'étend bien au-delà de l'époque de disparition de la langue, vers 1600.
La dix-huitième leçon du manuel de Hayes propose le texte d'un élément de porte au nom du roi Shu-Sin, qui régna de 2037 à 2029 (période dite de Ur III) et fit bâtir ou restaurer un mur défensif contre les incursions de nomades amorites venus de l'Ouest et du Nord-Ouest. Ce mur, ou plutôt ce
limes, ce système de fortifications, joignait le Tigre et l'Euphrate en un lieu où les deux fleuves étaient proches.
Le mot sumérien qui désigne l'Occident est MAR-TU ou encore MAR-DU, et il a deux significations : c'est un nom géographique et un nom ethnique, et l'on ignore lequel des deux sens est premier. Au sens ethnique, il désigne les Amorrites nomades sémites de l'Ouest (dont on n'a absolument aucun reste matériel, mais seulement des traces onomastiques). Il est attesté dès le XXV° siècle et désigne dans un texte de Fara une personne au nom sumérien, mais venant de l'Ouest, ou peut-être amorrite d'origine. A la ligne suivante de mon texte d'Ur III, on trouve la forme
Tidnum pour désigner une tribu amorrite particulière, ou bien peut-être l'ensemble du peuple. Hayes associe ce mot, présent dans de nombreuses langues de la région, aux Dedanim de la Bible hébraïque.
Voici un extrait : "Pour Shara, prince de An, fils chéri d'Inanna, son père, Shu-Sin, prêtre
ishib de An, prêtre
gudug aux mains pures d'Enlil et de Ninlil et des plus grands dieux, roi qu'Enlil a choisi dans son coeur aimant pour être le berger de la terre, roi puissant, roi d'Ur, roi des quatre quartiers, quand il construisit le mur des MAR-TU (ou bien : le mur de l'Ouest), dont le nom est 'celui qui maintient les Tidnum au loin', quand il repoussa les forces des MAR-TU vers leur propre pays ..."
Il faut ajouter que le sumérien pour
esclave,
arad, contient le signe "montagne", et certains le font dériver de l'akkadien
waradu, racine verbale qui veut dire "descendre" (parente de l'hébreu
yarad). Les esclaves venaient en effet des régions montagneuses. D'autres donnent l'étymolgie MAR-TU à ces noms (comment est-ce possible phonétiquement ?), ces hommes de l'Ouest que les Sumériens réduisaient en esclavage, avant d'être envahis par eux.
Autre source (
Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, article Amorrite) : MAR-TU est aussi le nom d'un dieu guerrier d'origine récente, puisqu'il ne figure pas dans la liste des dieux tutélaires des cités sumériennes. Au premier millénaire enfin, après la disparition du peuple amorrite en tant que tel, seule reste la signification géographique du point cardinal en langue sumérienne.
Je ne trouve pas de terme plus général. L'article Cartes de ce même dictionnaire décrit de nombreux documents, mais du point de vue d'un habitant de Sumer, au sud de l'Irak actuel, l'ouest est un désert où rôdent des bandits, alors que le nord, le sud et l'est sont des directions plus intéressantes pour le commerce, les échanges et la politique. Aussi les textes sont-ils plus prolixes sur ces trois directions, semble-t-il, que sur l'ouest, qui ne revêt pas la même charge symbolique et théologique que dans l'Egypte ancienne.
Il est donc possible que les mots cités par M. Tascius soient en fait de l'akkadien que l'auteur de sa source a pris pour du sumérien. L'épopée de Gilgamesh a connu une telle diffusion qu'elle fut traduite en de multiples langues. L'ouest et l'Europe n'ont d'intérêt en ces temps-là que pour les peuples côtiers, Phéniciens, ou nations anatoliennes tributaires des Hittites, ou encore Egyptiens (il y a des preuves archéologiques d'échanges commerciaux entre Crétois et Egyptiens). Mais Sumer, pour autant que je sache, est associé aux peuples du plateau iranien, aux Sémites voisins d'Assyrie et de Babylonie, et surtout aux cultures de Jiroft, de l'Indus et de Dilmun, dans la péninsule arabique.