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Impressions de Michéa

Envoyé par Thierry Noroit 
08 mars 2013, 13:21   Impressions de Michéa
Ayant assisté en curieux hier, jeudi 7 mars, à une rencontre avec Jean-Claude Michéa dans une librairie parisienne, je me permets de livrer ici en vrac et en style télégraphique (style peu recommandé en ces parages, espérons que M. le Secrétaire général et les autres autorités y consentiront) quelques impressions superficielles sur l'homme et sur ses propos. Précisons que je n'ai lu aucun livre de cet auteur. Et que sa relative influence sur certains milieux réactionnaires restait (et reste) pour moi un mystère.

La soixantaine décontractée et vulgaire - habillé comme un jeune de banlieue ou plutôt comme un footballeur qui aurait réussi : casquette, sweat-shirt à capuche - une montre à chaque poignet dont une entièrement rouge fluo, bracelet compris - fortes lunettes - voix bien posée de hâbleur, aucun accent montpelliérain - dévoré de tics, un peu à la Malraux, impossible de le regarder longuement à cause de cela, s'en aperçoit-il ? - prend les choses en main, fait les questions et les réponses, discours abondant, bien rodé, de politique plus que de penseur.

Le système représentatif est dans une impasse - 90 % des gens au moins auraient tout intérêt à ce que le système ne se perpétue pas - situation terrifante - système aperçu et critiqué dès 1820 par des penseurs comme Sismondi (jamais réédité, introuvable en librairie), Fourier, P. Leroux, Victor Considérant - Marx a parlé du monde où nous vivons d'une manière chaque jour plus exacte - Les gens "ordinaires" n'ont aucun intérêt au maintien du système, mais tout se passe comme si chacun était le seul à le voir - Il n'existe plus de grands mouvements capables de prendre en charge les révoltes - C'est de cette situation que je parle : pas de la Gauche - La gauche a incarné le parti d'opposition par excellence : comment en est-elle arrivée là ? - Au XIXème siècle c'est clair : opposition ordre/mouvement - C'est Benjamin Constant qui crée le concept de réaction, réactionnaire - De nos jours, le capitalisme n'est pas tourné vers le passé : il n'est absolument pas réactionnaire - Le capitalisme, ce n'est pas l'ordre établi, c'est une dynamique perpétuelle - Marx l'avait bien dit : le capitalisme est un système révolutionnaire, il abolit toutes les limites - Le capitalisme est un système de gauche, qui recherche un progrès incessant - Aujourd'hui, la gauche n'a plus d'ennemis : toutes les traces d'Ancien Régime ont disparu : survivances jusqu'en 1945, 1968, 1981 encore : maintenant plus aucune trace de réaction nulle part - Plus qu'une seule idéologie : celle de la fuite en avant - Etre de gauche c'est mettre son point d'honneur à accompagner fièrement toutes les transformations - Seul objectif actuel à travers le monde : produire pour produire, accumuler pour accumuler (sympathies de Michéa pour la décroissance ?) - La gauche a perdu tout lien avec le "bon sens populaire", la "common decency" d'Orwell, la vie de quartier (??) - Dans les années 1980, l'ultra-libéralisme s'impose sans complexe : mais c'est en fait le libéralisme tout court - On croit que Reagan, Thatcher en sont les inspirateurs : non, c'est à Paris avec Fabius, Bérégovoy, Attali, Pascal Lamy (ces deux-là, têtes de turc de Michéa) que tout a été mis en place - A la même époque, Michel Foucault dans sa haine de la coercition de l'Etat penche aussi vers un libéralisme ultra : chacun fait ce qu'il veut, loi du désir - Admiration de Foucault pour Hayek, un disciple de M. Foucault comme François Ewald maintenant dans les instances du Medef ...

Après cela, j'ai un peu décroché, d'autant plus qu'un vieux marxiste (comme on parlait de vieux Communards vers 1920) a interpellé Michéa en le tutoyant. Le débat a alors bifurqué vers de fines joutes entre courants opposés du léninisme, joutes absolument impénétrables au commun des mortels - et qui ramenaient Michéa vers ce qu'il est finalement : un communiste peut-être non marxiste mais plein d'admiration pour Chavez, par exemple. Proche tout compte fait de Mélenchon ou de Michel Onfray. Sans grande originalité par rapport à "la gauche de gauche" que l'on ne connaît que trop. Son intérêt pour Orwell est sympathique. Il ne cite jamais Bourdieu, en revanche (moi, j'aime bien Bourdieu : à l'envers, comme Renaud Camus, et même à l'endroit !). En deux heures de discours, pas une seule allusion chez Michéa au fait national : cela suffit, je crois, à le rendre "inutilisable" par l'In-nocence et toute la mouvance réactionnaire qui ne peut, elle, que s'arc-bouter sur le fait national.
Oui toujours cette dégaine très "relâchée" d'apparence chez lui mais en fait totalement "construite" et voulue comme telle!
Non pas comme ces gens mettant un point d'honneur à se rendre à l'opéra "le moins habillé" possible, c'est à dire vêtus comme n'importe quel quidam croisé dans la rue, mais plutôt de façon à ce qu'on le remarquât bien!
Par ex il se plaît souvent à arborer un tee-shirt où trônent sur le devant en rouge "pétant" l'emblême du Parti Communiste et en son dos le sigle CCCP également en rouge vif. C'est ainsi qu'on peut le voir sous tous les angles dans Causeur (Numéro d'octobre 2011).

Quelques citations de Michéa :

- Le grand point faible de la doctrine marxiste (par ailleurs si précieuse), c'est justement l'idée que le développement capitaliste, porté par le progrès inexorable des "forces productives", devait nécessairement conduire à édifier la "base matérielle du communisme". D'où, par exemple, la fascination de Marx et d'Engels pour l'agriculture industrielle (et notamment pour l'usage systématique des engrais chimiques) et leur mépris corrélatif pour le monde artisanal et l'agriculture paysanne.

- Comme l'écrivait Josiah Royce, seul "celui qui possède des coutumes est capable de comprendre les coutumes d'un autre". Alors même que l'homme sans qualité du capitalisme contemporain (celui dont les seules "coutumes" sont devenues l'échange intéressé et la querelle procédurière) se trouve, au contraire, condamné à voir dans toute forme d'existence collective portée par une identité culturelle déterminée (qu'il s'agisse de l'islam, de l'indianité ou du bouddhisme) le signe assuré d'une mentalité arriérée et réactionnaire.
Une fois qu'on a compris qu'aucune dialectique d'universalisation véritable ne pouvait donc s'enclencher sans puiser ses conditions dans les "règles de croyance et les principes de vie" (Pierre Legendre) propres à une tradition culturelle donnée (c'est un point de vue que Michael Walzer et Martha Nussbaum ont admirablement établi), il devient alors possible d'envisager de façon plus apaisée la fameuse "question nationale". Dès lors, en effet, que la forme nationale (dont la configuration concrète renvoie toujours à la contingence d'une histoire singulière) permet l'émergence d'un véritable monde commun (par ex une langue, des habitudes culturelles ou une littérature commune) entre différents groupes ethniques (ou "régionaux") dont on n'exige pas, par ailleurs, qu'ils renoncent a priori à leurs propres différences et à leurs propres spécificités, elle constitue de toute évidence l'une des figures privilégiées de ce processus d'autocritique universalisatrice "qui supprime en conservant" (Hegel) et qui permet ainsi d'élargir considérablement la sphère de la common decency. Et comme seul celui qui est affectivement attaché à sa communauté d'origine (sa géographie, son histoire, sa culture, ses manières de vivre) est réellement en mesure de comprendre ceux qui éprouvent un sentiment comparable à l'endroit de leur propre communauté (comprendre la nostalgie de Du Bellay, c'est pouvoir, du même coup, comprendre celle d'Ovide), on peut en conclure que le véritable sentiment national (dont l'amour de la langue est une composante essentielle) non seulement ne contredit pas mais, au contraire, tend généralement à favoriser ce développement de l'esprit internationaliste qui a toujours été l'un des principaux moteurs du projet socialiste. On sait bien, en effet, qu'il faut d'abord être capable de s'aimer soi-même (acceptation sereine de ses propres limites qui n'a rien à voir avec un quelconque narcissisme) pour pouvoir aimer les autres et les respecter réellement. Mais si, en revanche, le culte de la patrie, de la frontière ou de la colline inspirée n'est plus que le masque trompeur sous lequel s'avancent, en rangs serrés, la haine de soi, le ressentiment et les passions tristes (c'est toute la différence entre le nationalisme d'un Drumont et le patriotisme d'un Orwell), alors nous avons seulement affaire à une construction psycho-idéologique perverse qui ne peut, en tant que telle, que rebuter tout esprit socialiste ou simplement décent. Au même titre, naturellement, que cet univers hypnotique, glacial et uniformisé qui est l'unique aboutissement possible de l'universalisme désincarné des libéraux modernes (qu'ils soient de gauche ou de droite).

- Toute mon oeuvre se présente comme un effort pour retrouver l'esprit du socialisme originel, c'est-à-dire celui dont les premiers théoriciens (par delà leurs nombreuses divergences) s'accordaient néanmoins pour fonder le programme d'émancipation des travailleurs sur un double refus politique. D'une part, celui des privilèges de caste propres à l'Ancien Régime (dont la restauration était alors souhaitée par la droite monarchiste et cléricale, c'est-à-dire par la "réaction" et le "parti de l'ordre").
Et, de l'autre, celui des privilèges de classe de la nouvelle bourgeoisie libérale (une classe, à la différence d'un ordre ou d'une caste, n'a aucune existence juridique officielle ; elle repose avant tout sur un pouvoir de fait) qui commençaient à proliférer à l'abri de cette nouvelle idéologie du "progrès" et de la "liberté" que célébrait au même moment la "gauche" ou, si l'on préfère, le "parti du mouvement". Le socialisme n'était donc, à l'origine, ni de gauche ni de droite (même si on ne doit pas oublier qu'il a toujours partagé avec le libéralisme et le républicanisme le refus révolutionnaire d'un monde "féodal" et des inégalités de naissance).
Et cela, que le terme de "droite" s'applique (comme au XIX ème siècle) aux partisans d'une restauration de l'Ancien Régime ou, comme aujourd'hui, à ceux de la droite progressiste et libérale, héritière de Bastiat et de Hayek. Faut-il rappeler que Marx lui-même (pas plus, d'ailleurs, que Proudhon ou Bakounine) n'aurait jamais eu l'idée de se définir comme un "homme de gauche". Il se présentait toujours, au contraire, comme un socialiste ou un communiste, partisan à ce titre, de l'autonomie radicale du mouvement prolétarien et de ses alliés.

- L'histoire abonde en exemples d'ennemis de la propriété que la tradition populaire s'accorde néanmoins à reconnaître comme parfaitement "décents". Mais c'est, généralement, parce qu'ils mettaient leur point d'honneur (de Mandrin à Marius Alexandre Jacob) à "voler les riches pour donner aux pauvres" ou, à tout le moins, à refuser par principe de s'en prendre aux biens des pauvres et des gens modestes.
Si, en revanche, vous entendez seulement désigner, sous le nom de "casseur", ce nouveau type humain, célébré avec enthousiasme par la culture libérale contemporaine (et donc également par l'inepte sociologie d'Etat) entièrement conforme à l'esprit madoffien de l'époque, et dont les conduites violentes et transgressives prennent habituellement leur source psychologique soit dans l'asocialité constitutive du lumpen soit dans la rage traditionnelle du jeune bourgeois oedipien, alors je crains bien (c'est un point qu'Orwell a maintes fois souligné) qu'il ne puisse jamais exister aucun "casseur décent".
Si vos lecteurs désirent vraiment en savoir plus, il leur suffit de se précipiter sur le dernier chef-d'oeuvre de Morgan Sportès ( Tout, tout de suite). C'est un livre admirable...
Voici une critique du dernier livre de Michéa par Christian Authier dans L'Opinion Indépendante.
Dommage que Michéa ignore le problème fondamental du Grand Remplacement !

http://www.lopinion.com/journal/article/5058_la-gauche-mysterieuse.html][/url]

La gauche mystérieuse


Dans un essai aussi brillant que corrosif, Les Mystères de la Gauche, Jean-Claude Michéa explique comment les «progressistes» sont les meilleurs agents du libéralisme moderne.


Sans Jean-Claude Michéa, qui publie environ tous les deux ans un essai tranchant et revigorant sur le peu d’avenir que portent les temps présents, les réfractaires à l’ordre dominant se sentiraient un peu plus seuls. Car il n’y a que cet intellectuel inclassable et peu médiatique (professeur de philosophie à la retraite) pour dire avec autant d’acuité que d‘intelligence, d’humour que d’évidence l’oppression marchande, le nihilisme capitaliste, la bêtise gauchisante, la tyrannie technologique, l’horreur progressiste, la bien-pensance liberticide. Anarchiste, Michéa ? Oui, mais un «anarchiste tory», un anarchiste conservateur, ainsi se définissait son cher George Orwell auquel il consacra son premier livre.

Capitalisme révolutionnaire

Dans les premières pages de son nouvel essai, Les Mystères de la Gauche, Michéa rappelle que les commodes mais grossières notions de droite et de gauche n’ont réellement structuré le débat politique en France qu’à la fin de l’affaire Dreyfus (ce nouveau clivage effaçant au fil des années des oppositions – notamment de classe – et des identités politiques autrement décisives : monarchiste, républicain, libéral, anarchiste, socialiste…). Il rappelle aussi ce qui devrait être une évidence pour tous (évidence peinant cependant à atteindre les cerveaux, en particulier à gauche), à savoir que la société capitaliste n’est ni conservatrice ni réactionnaire, mais «désormais entièrement moderne» prônant la mobilité incessante et le déracinement au sein d’une révolution culturelle permanente.

Plus iconoclaste encore, l’auteur de L’Enseignement de l’ignorance avance que le ralliement de «la gauche officielle» au culte du marché concurrentiel et de la croissance illimitée ne serait pas une parenthèse, mais «l’aboutissement logique d’un long processus historique» dont «l’opérateur philosophique majeur» n’est autre «que cette métaphysique du Progrès et du “Sens de l’Histoire“» héritée des Lumières. De là serait née la «croyance religieuse en un sens de l’histoire et du progrès matériel illimité» cherchant à faire table rase du passé – croyance ensuite partagée et mise en œuvre, on notera au passage, autant par l’URSS que par la mondialisation libérale.

Tout se vend, tout s’achète

Pour la modernité et le progrès visant à établir un marché mondial sans frontières, toute structure d’appartenance – la famille, le pays d’origine ou la langue maternelle – est à bannir. Si l’homme de gauche contemporain revendique le parti de la modernité, du progrès et du marché (à quelques hypocrisies et «éléments de langage» électoraux près – «je n’ai qu’un ennemi : la finance», François Hollande, 2011), il adopte naturellement le capitalisme comme «fait social total» dépassant le pur système économique. Ce bloc – où l’on croise le culte de la croissance illimitée, l’aliénation des consommateurs, la destruction des villes et des campagnes ou l’abrutissement médiatique – s’appuie ainsi sur le libéralisme culturel et son corolaire le relativisme moral dont l’une des traductions concrètes est le «droit pour tous». Ici, la gauche d’aujourd’hui rejoint donc le libéralisme né des Lumières et de la Révolution française développant une vision de la liberté perçue comme «le droit “naturel“ pour chacun de “vivre comme il l’entend“, sous la protection d’un Etat de droit uniquement soucieux d’“administrer les choses“». Au terme du processus, l’échange marchand et le contrat juridique sont les fondements de la vie en société.

Nulle surprise alors que le libéralisme, défini par le philosophe et économiste Friedrich Hayek comme le droit pour chacun de «produire, de vendre et d’acheter tout ce qui est susceptible d’être produit ou vendu», ait été parfaitement intégré par l’homme de gauche moderne, à l’image de Pierre Bergé déclarant récemment à propos du droit à l’enfant pour tous : «Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l’usine, quelle différence ?» Pour en arriver là, il a fallu évidemment faire fi de tout principe moral, philosophique ou religieux convainquant l’individu et la communauté que certaines choses ne se font pas («Un homme, ça s’empêche», Albert Camus) au nom de la décence (la «common decency», Orwell) et de la civilité.

Pas de limites

Érigeant «la transgression morale et culturelle sous toutes ses formes», le capitalisme et la gauche ont diabolisé les valeurs traditionnelles, les sentiments naturels d’appartenance, le sens des limites, l’attachement à la transmission notamment familiale et scolaire sous les termes de «conservatisme», de «réaction» ou d’«ordre moral» – sceaux d’infamie quand tout ce qui est neuf et transgressif est estimé comme naturellement positif. Les conséquences de cette mutation ayant repoussé, aussi bien dans les bas-fonds que dans les élites, toute limite morale (on ne poignarde pas son prochain pour une cigarette, on ne vend pas son ventre à autrui, on ne s’octroie pas un revenu mille fois supérieur à celui de son employé, on ne viole pas une femme de chambre…) sont visibles chaque jour.

Loin des préjugés en vigueur, Jean-Claude Michéa – qui se revendique du socialisme originel – comprend le désarroi légitime du «petit peuple de droite» trahi par ses représentants officiels (comme d’ailleurs le «petit peuple de gauche») et frappé de plein fouet par la guerre de tous contre tous qu’induit le capitalisme contemporain «libéré de tous ses compromis historiques antérieurs». Il convient dès lors de «parler à l’ensemble des gens ordinaires» au-delà des militants professionnels. Car le jeu électoral repose sur «une alternance unique» appliquant «le programme économique défini et imposé par les grandes institutions capitalistes internationales». En effet, quelle différence entre la réduction des déficits à 3 % du PIB, exigée par Bruxelles, appliquée par Sarkozy ou par Hollande ?

Subsiste un jeu de rôles, par exemple sur l’insécurité (la droite «sécuritaire» et la gauche «laxiste» partageant le même bilan : un échec tragique) ou sur les mœurs (le «mariage pour tous» auquel Nicolas Sarkozy était favorable), mirage abusant ceux ne voulant pas voir que le libéralisme économique et le libéralisme culturel représentent sous leur apparente opposition mise en scène les deux profils d’un seul visage. Il faut même concéder à la droite une certaine retenue dans la mise en place du projet libéral, ce que le socialiste Pascal Lamy (directeur de l’Organisation Mondiale du Commerce depuis 2005) reconnaît volontiers puisque, contrairement à un Hollande ou un Montebourg, il n’a pas à mentir à des électeurs pour conserver son poste : «lorsqu’il s’agit de libéraliser, il n’y a plus de droite en France. La gauche devait le faire, parce que ce n’est pas la droite qui l’aurait fait». Et c’est ainsi que «les mystères de la gauche» sont éclairés.
Oxydo-réduction.
Michéa avait fait l'observation suivante:
Au XIX siècle, 3 tendances gouvernaient la vie politique française, les bleus, les blancs, les rouges (libéro-conservateurs - royalistes - libéro-sociaux , radsoc).
Au XXe siècle, deux tendances subsistaient, les bleus et les rouges.
Aujourd'hui, tous le monde est prié d'être bleu (libéro-libéraux).
Or, il constate que cette tendance est également observable avec l'équipe de France de football. Quand Platini était capitaine de l'équipe de France, on parlait alors des 'Tricolores'. Aujourd'hui, on ne parle plus que des 'Bleus'.
JC Michéa dénonce très souvent ce "parti du mouvement" qu'est nécessairement la Gauche Française, héritière en goguette qu'elle est d'un mythe du Progrès (Sens de l'Histoire ; Demain sera mieux qu'Hier) issu des Lumières dont une patiente et constante intériorisation/infusion a fini par en faire comme une seconde peau.
La Droite aussi en étant héritière mais peut-être avec moins de jubilation à propos des lendemains qui chantent.
Mais, comme on sait, d'autres ont réfléchi et écrit sur ce thème.
PA Taguieff s'est étalé longuement (dans des livres richement documentés quoiqu'un peu verbeux à mon goût) à définir et à décrire son concept de "bougisme", dans une société libérale toute acquise au culte du mouvement pour le mouvement, marquant la fin de la "religion du Progrès".
Orwell parle ausssi de ce présentisme, quand il pointe ce présent perpétuel sans passé ni avenir qui s'apparente à du nihilisme.
Luc Ferry, pourtant libéral de droite, fait également ce même constat d'une gauche libertaire soixante-huitarde ayant fait la courte-échelle à une droite libérale et au Grand Marché, conférant ainsi une belle caution morale à ces derniers.
Cette post-modernité désaffiliée de toute croyance au Progrès mais aussi de toute attache quelle qu'elle soit (famille ; patrie ; religion), même si Michéa nous dit à juste titre qu'elle n'est ni réactionnaire ni conservatrice, peut-elle être encore néanmoins qualifiée de "progressiste" ? Ou n'est-elle pas, tout simplement, nihiliste ?

Cette mythification des "gens de peu" me semble aussi un peu naïve et quasi ridicule.
Comme dirait l'autre, les hommes étant ce qu'ils sont, on doit pouvoir trouver en moyenne, d'une classe sociale à l'autre, autant de vilains sentiments chez les uns que chez les autres.
Non pas, par le biais d'un égalitarisme sartrien radical qui voudrait que tout le monde vaut tout le monde et que donc rien ne saurait être supérieur à rien, mais par mon refus de penser qu'il existerait une "classe" pure et vertueuse (celle qui possèderait les valeurs morales propres à restaurer le socialisme originel) à côté d'une autre constituée d'hommes et de femmes nécessairement malfaisants et vicieux.
En outre une telle injonction, faîte aux personnes, d'entr'aide, de solidarité, d'empathie obligatoire et de valeurs communes partagées dans le cadre doucereux et harmonieux délimité par une common decency, m'effraierait un peu par ses pesanteurs et son déterminisme.
Ici, comme ailleurs, tout est affaire de mesure.
Citation
Daniel Teyssier
Orwell parle ausssi de ce présentisme, quand il pointe ce présent perpétuel sans passé ni avenir qui s'apparente à du nihilisme.

Michéa est admirateur d'Orwell, parce qu'Orwell est le premier à dénoncer l'atomisation des individus, cette folie qui est au coeur du libéralisme. Pour cette raison Michéa considère Orwell comme appartenant à 'sa' gauche originelle, celle des partageux, c'est-à-dire de ceux qui ne pensent pas de façon individuelle. Or, le socialisme d'aujourd'hui s'inscrit totalement dans la doctrine libérale d'atomisation de la société. Aujourd'hui, l'immigration en est même le moteur. Une société multi-culturelle, c'est par définition une société atomisée.
Pour moi, le coeur et l'objectif du socialisme à la française, c'est l'atomisation de la société, parce que cette atomisation entretient le fond anthropologique de la société française, à savoir la structure familiale nucléaire (voir les origines des structures familiales, E. Todd) .
Michéa ne peut qu'ignorer la question du Grand remplacement. Ne lui demandons pas l'impossible. Le point est qu'il laisse de côté le fait national. Comment penser un tel remplacement si les nations, si les peuples, n'ont pas d'existence ? Michéa n'a rien à nous apporter. Car on ne l'a pas attendu pour constater que socialisme et libéralisme sont frères quasi jumeaux et partagent la même religion du mouvement.
Sur "l'oxydo-réduction" observée par Michéa (cf le message de Tascius à 15:09 supra):

Cela ne devrait en aucun cas nous surprendre: la diversité politique doit se réduire à la mesure même des progrès de la diversité ethnique, tout à fait à l'image de la situation que l'on trouve dans certains pays du Sud à parti unique, à pensée politique unique, à régime corrompu et intolérant, où les dissidents et opposants sont muselés pour que cent ethnies cohabitent sans que le pays ne soit brisé par leurs pulsions génocidaires. C'est l'africanisation de la France: la nation ne pourrait survivre à une diversité qui s'exprimerait sur les deux plans: politique et ethnique; il faut donc que l'ancienne diversité française disparaisse, se fonde et se soude en un bloc politique unique -- "les Bleus", autrement dit la classe petite-bourgeoise unique, pour faire place à l'encombrement ethnique et à son fatras diversitaire brut.

C'est ainsi que la diversité qui est l'alpha et l'oméga du régime nouveau, son atout propagandiste et son crédo partout étalé, partout chanté, ne doit et ne peut s'exprimer que sur le seul et unique plan de l'ethnicité, qu'elle ne souffre aucune concurrence sur des plans qui seraient sécants au sien; c'est le paradigme idéologique et social de la diversité unique. Une diversité fine, spirituelle, intérieure, aux contours nuancés, au prisme en estompe, qui fut longtemps constitutive de l'âme de la nation (symbolisée dans son drapeau tricolore, etc.), doit s'éteindre pour qu'une autre, brutale ("sensible"), visible et, de manière revendiquée, sous-tendue par la matière biologique et le paradigme racial (l'anti-racisme doctrinaire étant un racialisme) impose sa loi dans le corps de la nation et le paysage de ses pensées. C'est bien à une grande régression historique à laquelle nous assistons impuissants, où l'élan diversitaire qui porte le Grand Remplacement réduit et soude en un bloc indistinct la diversité spirituelle d'un substrat qui doit mourir.
Citation
Le point est qu'il laisse de côté le fait national. Comment penser un tel remplacement si les nations, si les peuples, n'ont pas d'existence ?
Non il ne le laisse pas de côté mais il s'en méfie quand même.
Disons que pour lui la Nation (la Française surtout) est ce fil ténu par lequel peut s'articuler le singulier et l'universel, contrairement à l'ethnie et à l'Empire. On peut être universaliste parce qu'on est d'abord bien solidement implanté dans un espace culturel donné.

"Une fois qu'on a compris qu'aucune dialectique d'universalisation véritable ne pouvait donc s'enclencher sans puiser ses conditions dans les "règles de croyance et les principes de vie" (Pierre Legendre) propres à une tradition culturelle donnée (c'est un point de vue que Michael Walzer et Martha Nussbaum ont admirablement établi), il devient alors possible d'envisager de façon plus apaisée la fameuse "question nationale". Dès lors, en effet, que la forme nationale (dont la configuration concrète renvoie toujours à la contingence d'une histoire singulière) permet l'émergence d'un véritable monde commun (par ex une langue, des habitudes culturelles ou une littérature commune) entre différents groupes ethniques (ou "régionaux") dont on n'exige pas, par ailleurs, qu'ils renoncent a priori à leurs propres différences et à leurs propres spécificités, elle constitue de toute évidence l'une des figures privilégiées de ce processus d'autocritique universalisatrice "qui supprime en conservant" (Hegel) et qui permet ainsi d'élargir considérablement la sphère de la common decency. Et comme seul celui qui est affectivement attaché à sa communauté d'origine (sa géographie, son histoire, sa culture, ses manières de vivre) est réellement en mesure de comprendre ceux qui éprouvent un sentiment comparable à l'endroit de leur propre communauté (comprendre la nostalgie de Du Bellay, c'est pouvoir, du même coup, comprendre celle d'Ovide), on peut en conclure que le véritable sentiment national (dont l'amour de la langue est une composante essentielle) non seulement ne contredit pas mais, au contraire, tend généralement à favoriser ce développement de l'esprit internationaliste qui a toujours été l'un des principaux moteurs du projet socialiste. On sait bien, en effet, qu'il faut d'abord être capable de s'aimer soi-même (acceptation sereine de ses propres limites qui n'a rien à voir avec un quelconque narcissisme) pour pouvoir aimer les autres et les respecter réellement. Mais si, en revanche, le culte de la patrie, de la frontière ou de la colline inspirée n'est plus que le masque trompeur sous lequel s'avancent, en rangs serrés, la haine de soi, le ressentiment et les passions tristes (c'est toute la différence entre le nationalisme d'un Drumont et le patriotisme d'un Orwell), alors nous avons seulement affaire à une construction psycho-idéologique perverse qui ne peut, en tant que telle, que rebuter tout esprit socialiste ou simplement décent. Au même titre, naturellement, que cet univers hypnotique, glacial et uniformisé qui est l'unique aboutissement possible de l'universalisme désincarné des libéraux modernes (qu'ils soient de gauche ou de droite)."
09 mars 2013, 21:37   Re : Impressions de Michéa
"C'est l'africanisation de la France: la nation ne pourrait survivre à une diversité qui s'exprimerait sur les deux plans: politique et ethnique; il faut donc que l'ancienne diversité française disparaisse, se fonde et se soude en un bloc politique unique – "les Bleus", autrement dit la classe petite-bourgeoise unique, pour faire place à l'encombrement ethnique et à son fatras diversitaire brut." (Francis Marche)

N'est-ce pas François Mitterrand qui profétisa un jour que la France au XXIème siècle sera africaine ?
Utilisateur anonyme
10 mars 2013, 02:33   Re : Impressions de Michéa
Marche, vous êtes quand même vraiment génial !
A Piron,

Mitterrand fut le plus « africain » des présidents de la Ve République. Sos Racisme fut une initiative de roi nègre : ethnicisation, biologisation, racialisation et dé-moralisation (par la sur-moralisation) du débat politique en France.

Michéa s’abstient d’achever sa pensée. Pour des raisons de patrimoine familial (qu’il expose en toute franchise et clarté dans une de ses vidéos, sa famille ayant un bagage « rouge » dont il entend bien assurer la pérennité, conserver les valeurs), il s’abstient de la croiser avec celle d’un Alain Finkielkraut. Le jeu vaudrait pourtant la peine ; sur la question emblématique de l’équipe nationale de football par exemple, pourrait naître de ce croisement un bel éclairage de sens : voilà une équipe qui à force de gagner en diversité (jusqu’à, sinon exclure, du moins rendre archi-minoritaire tout élément de souche européenne en son sein), est devenue doublement monochrome -- sur le terrain d’une part, et dans le champ de la dénotation sémantique et symbolique (« Les Bleus » au lieu des Tricolores). Le faux enrichissement diversitaire s’accompagne d’un appauvrissement dans l’ordre du symbolique et du sens.

Le Grand Remplacement n’est ni incident ni accidentel à l’oxydo-réduction du logos politique : sur un même disque (toujours le même !) celle-ci s’étale sur la face B quand la face A est tout entière occupée par le Grand Remplacement, raison, ou face obvie de ce double phénomène ; au recto la domination des Sensibles, imposée d’office à la vue et à l’ouïe de tous sur la scène sociale et « culturelle » ; au verso la mort insensible de la pensée et de l’ordre symbolique. L’une ne se conçoit pas sans l’autre, l’une est l’argument de l’autre, qui l'admet pour cause première ; les deux s’accompagnent.

Quand Laurent Ruquier -- Laurent Ruquier est un penseur politique majeur de la première décennie du XXIe siècle qui, en 2013, avait acquis une audience, une influence nationales deux mille cinq cent fois supérieure à celle de Jean-Claude Michéa – quand Laurent Ruquier, dont les œuvres complètes sont diffusées, expliquées en direct aux masses tous les soirs de la semaine ou presque, déclare qu’il ne donnera pas la parole à « ceux qui veulent scinder ou faire éclater la nation », et que le débat politique doit par ce truchement se trouver réduit à sa plus simple expression (le Bien débattant avec le Bien pour le plus grand bien du Bien), il se comporte en clerc de roi nègre, en chien de garde de la paillote royale, cela dit avec le plus grand respect pour les traditions villageoises africaines. Jacqueline de Romilly écrivait que « Paris ne serait jamais un village africain ». Comme souvent hélas les plus grands, Jacqueline de Romilly s’est trompée, l’histoire lui a déjà donné tort.
Quand Marche tenir concept efficace, lui jamais lâcher prise.
Utilisateur anonyme
10 mars 2013, 13:57   Re : Impressions de Michéa
Non mais vraiment quoi, c’est juste trop impressionnant quoi.
Dangle, Leroy, vous ne me laissez pas le choix: LOL. (Désolé).
Utilisateur anonyme
10 mars 2013, 17:39   Re : Impressions de Michéa
Moi, je crois qu’avec “LOL“, on a toujours le choix...
Un "lol" barré alors. (Dur, le SG...).
Utilisateur anonyme
10 mars 2013, 18:56   Re : Impressions de Michéa
« Dur, le SG » ? LOL !
C'est fou ce qu'on s'amuse ici.

Leroy qu'est-ce que vous attendez pour préparer une première mouture de la Charte 2013 comme je vous l'ai indiqué ? ce serait un peu votre rôle en tant que Secrétaire général du P.I., non ? En tout cas ça le serait davantage que de projeter des boulettes en papier mâché sur l'orateur pour faire se gondoler de rire et se trémousser de contentement vos petits camarades, I should think.
Utilisateur anonyme
11 mars 2013, 07:39   Re : Impressions de Michéa
Ah, mais cher Marche, dans mon premier cri d’admiration j’étais très sincère (ce sont les autres, après, qui... — ce sont toujours les autres —) : je trouve phénoménal votre “esprit de synthèse” d’une part et, d’autre part, votre capacité à conceptualiser les choses, à “complexifier” le réel (c’est-à-dire, évidemment, à détricoter sa complexité). Vraiment, nombre de vos messages m’impressionnent beaucoup (et je les diffuse tous azimuts). (Quel dommage, cependant, que parfois vous vous relisiez avec si peu d’attention...)

Concernant la would be “Charte 2013”, sa confection me semble une excellente idée, et je m’y attèlerai dès que j’aurai un instant (donc peut-être pas immédiatement). Cependant, je pense que pour ce faire je solliciterai l’aide des grands penseurs de ce parti : le secrétaire Davoudi, vous-même évidemment, le Président...
Il est exagéré de dire que Michéa ignore la question du Grand Remplacement :

L'Empire du moindre mal, p.112

On peut découvrir, sur le site internet de Bertrant Lemennicier (l'un des quatres membres de la secte libérale du Mont-Pélerin que Luc Ferry a personnellement imposés, en 2003, au jury de l'agrégation des sciences économiques), cette analyse exemplaire de Gérard Bramouillé (lui-même membre de la secte et du jury) : "L'immigré clandestin abaisse les coûts monétaires et non monétaires de la main-d'oeuvre. Il renforce la compétitivité de l'appareil de production et freine le processus de délocalisation des entreprises qui trouvent sur place ce qu'elles sont incitées à chercher à l'extérieur. Ils facilitent les adaptations de l'emploi aux variations conjoncturelles et augmente la souplesse du processus productif."
Il est donc politiquement indispensable de veiller, insiste l'universitaire patronal, à ce qu'on ne vienne pas, par xénophobie, à faire de l'immigré clandestin "le bouc émissaire facile d'un problème difficile." On trouvera, dans cette analyse, le fondement idéologique ultime (conscient ou inconscient) de tous les combats de l'extrême-gauche libérale (comme ceux, par exemple, du très médiatique "Réseau éducation sans frontières") pour légitimer l'abolition de tous les obstacles à l'unification juridique-marchande de l'humanité.

___________________________________________________

p. 186 : En France, c'est le film Dupont-Lajoie (Yves Boisset 1974) qui illustre de manière à la fois emblématique et caricaturale l'acte de naissance d'une nouvelle gauche, dont le mépris des classes populaires, jusque-là assez bien maîtrisé, pourra désormais s'afficher sans le moindre complexe. [...] C'est alors et alors seulement que l'antiracisme (déjà présent dans le film de Boisset comme une solution idéale de remplacement) pourra être substitué méthodiquement à la vieille lutte de classes, que le populisme pourra être tenu pour un crime de pensée et que le monde du show-biz et des médias pourra devenir la base d'appui privilégiée de tous les nouveaux combats politiques, aux lieux et place de l'ancienne classe ouvrière.
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