Oui toujours cette dégaine très "relâchée" d'apparence chez lui mais en fait totalement "construite" et voulue comme telle!
Non pas comme ces gens mettant un point d'honneur à se rendre à l'opéra "le moins habillé" possible, c'est à dire vêtus comme n'importe quel quidam croisé dans la rue, mais plutôt de façon à ce qu'on le remarquât bien!
Par ex il se plaît souvent à arborer un tee-shirt où trônent sur le devant en rouge "pétant" l'emblême du Parti Communiste et en son dos le sigle CCCP également en rouge vif. C'est ainsi qu'on peut le voir sous tous les angles dans Causeur (Numéro d'octobre 2011).
Quelques citations de Michéa :
- Le grand point faible de la doctrine marxiste (par ailleurs si précieuse), c'est justement l'idée que le développement capitaliste, porté par le progrès inexorable des "forces productives", devait nécessairement conduire à édifier la "base matérielle du communisme". D'où, par exemple, la fascination de Marx et d'Engels pour l'agriculture industrielle (et notamment pour l'usage systématique des engrais chimiques) et leur mépris corrélatif pour le monde artisanal et l'agriculture paysanne.
- Comme l'écrivait Josiah Royce, seul "celui qui possède des coutumes est capable de comprendre les coutumes d'un autre". Alors même que l'homme sans qualité du capitalisme contemporain (celui dont les seules "coutumes" sont devenues l'échange intéressé et la querelle procédurière) se trouve, au contraire, condamné à voir dans toute forme d'existence collective portée par une identité culturelle déterminée (qu'il s'agisse de l'islam, de l'indianité ou du bouddhisme) le signe assuré d'une mentalité arriérée et réactionnaire.
Une fois qu'on a compris qu'aucune dialectique d'universalisation véritable ne pouvait donc s'enclencher sans puiser ses conditions dans les "règles de croyance et les principes de vie" (Pierre Legendre) propres à une tradition culturelle donnée (c'est un point de vue que Michael Walzer et Martha Nussbaum ont admirablement établi), il devient alors possible d'envisager de façon plus apaisée la fameuse "question nationale". Dès lors, en effet, que la forme nationale (dont la configuration concrète renvoie toujours à la contingence d'une histoire singulière) permet l'émergence d'un véritable monde commun (par ex une langue, des habitudes culturelles ou une littérature commune) entre différents groupes ethniques (ou "régionaux") dont on n'exige pas, par ailleurs, qu'ils renoncent a priori à leurs propres différences et à leurs propres spécificités, elle constitue de toute évidence l'une des figures privilégiées de ce processus d'autocritique universalisatrice "qui supprime en conservant" (Hegel) et qui permet ainsi d'élargir considérablement la sphère de la
common decency. Et comme seul celui qui est affectivement attaché à sa communauté d'origine (sa géographie, son histoire, sa culture, ses manières de vivre) est réellement en mesure de comprendre ceux qui éprouvent un sentiment comparable à l'endroit de leur propre communauté (comprendre la nostalgie de Du Bellay, c'est pouvoir, du même coup, comprendre celle d'Ovide), on peut en conclure que le véritable sentiment national (dont l'amour de la langue est une composante essentielle) non seulement ne contredit pas mais, au contraire, tend généralement à favoriser ce développement de l'esprit internationaliste qui a toujours été l'un des principaux moteurs du projet socialiste. On sait bien, en effet, qu'il faut d'abord être capable de s'aimer soi-même (acceptation sereine de ses propres limites qui n'a rien à voir avec un quelconque narcissisme) pour pouvoir aimer les autres et les respecter réellement. Mais si, en revanche, le culte de la patrie, de la frontière ou de la colline inspirée n'est plus que le masque trompeur sous lequel s'avancent, en rangs serrés, la haine de soi, le ressentiment et les passions tristes (c'est toute la différence entre le nationalisme d'un Drumont et le patriotisme d'un Orwell), alors nous avons seulement affaire à une construction psycho-idéologique perverse qui ne peut, en tant que telle, que rebuter tout esprit socialiste ou simplement décent. Au même titre, naturellement, que cet univers hypnotique, glacial et uniformisé qui est l'unique aboutissement possible de l'universalisme désincarné des libéraux modernes (qu'ils soient de gauche ou de droite).
- Toute mon oeuvre se présente comme un effort pour retrouver l'esprit du socialisme originel, c'est-à-dire celui dont les premiers théoriciens (par delà leurs nombreuses divergences) s'accordaient néanmoins pour fonder le programme d'émancipation des travailleurs sur un double refus politique. D'une part, celui des privilèges de caste propres à l'Ancien Régime (dont la restauration était alors souhaitée par la droite monarchiste et cléricale, c'est-à-dire par la "réaction" et le "parti de l'ordre").
Et, de l'autre, celui des privilèges de classe de la nouvelle bourgeoisie libérale (une classe, à la différence d'un ordre ou d'une caste, n'a aucune existence juridique officielle ; elle repose avant tout sur un pouvoir de fait) qui commençaient à proliférer à l'abri de cette nouvelle idéologie du "progrès" et de la "liberté" que célébrait au même moment la "gauche" ou, si l'on préfère, le "parti du mouvement". Le socialisme n'était donc, à l'origine, ni de gauche ni de droite (même si on ne doit pas oublier qu'il a toujours partagé avec le libéralisme et le républicanisme le refus révolutionnaire d'un monde "féodal" et des inégalités de naissance).
Et cela, que le terme de "droite" s'applique (comme au XIX ème siècle) aux partisans d'une restauration de l'Ancien Régime ou, comme aujourd'hui, à ceux de la droite progressiste et libérale, héritière de Bastiat et de Hayek. Faut-il rappeler que Marx lui-même (pas plus, d'ailleurs, que Proudhon ou Bakounine) n'aurait jamais eu l'idée de se définir comme un "homme de gauche". Il se présentait toujours, au contraire, comme un socialiste ou un communiste, partisan à ce titre, de l'autonomie radicale du mouvement prolétarien et de ses alliés.
- L'histoire abonde en exemples d'ennemis de la propriété que la tradition populaire s'accorde néanmoins à reconnaître comme parfaitement "décents". Mais c'est, généralement, parce qu'ils mettaient leur point d'honneur (de Mandrin à Marius Alexandre Jacob) à "voler les riches pour donner aux pauvres" ou, à tout le moins, à refuser par principe de s'en prendre aux biens des pauvres et des gens modestes.
Si, en revanche, vous entendez seulement désigner, sous le nom de "casseur", ce nouveau type humain, célébré avec enthousiasme par la culture libérale contemporaine (et donc également par l'inepte sociologie d'Etat) entièrement conforme à l'esprit madoffien de l'époque, et dont les conduites violentes et transgressives prennent habituellement leur source psychologique soit dans l'asocialité constitutive du
lumpen soit dans la rage traditionnelle du jeune bourgeois oedipien, alors je crains bien (c'est un point qu'Orwell a maintes fois souligné) qu'il ne puisse jamais exister aucun "casseur décent".
Si vos lecteurs désirent vraiment en savoir plus, il leur suffit de se précipiter sur le dernier chef-d'oeuvre de Morgan Sportès ( Tout, tout de suite). C'est un livre admirable...