J'ai regardé cette émission. Le vedettariat (la pipolisation, qu'il faudrait peut-être écrire
pipeaulisation) de certains personnages apparus sur la scène à une époque que je n'ai pas connue (ayant vécu coupé de la France pendant les quatorze années du règne Mitterrand) reste une chose fascinante à contempler. On ne comprend ni comment ni pourquoi cet engouement et ce culte pour un personnage féminin qui "incarne" dieu sait quoi aux yeux des Français. Ce culte est auto-organisé et auto-célébré par une caste, celle des journalistes politiques français, pour un être qui paraît en incarner l'idéal. Jadis, ce fut, par exemple, Françoise Giroud, aujourd'hui c'est Anne Sinclair, "femme libre", "femme courageuse", et méritant concerts de louange et béatification médiatique de son vivant; il me semble que Christine Ockren aurait pu prétendre à ce rôle si elle s'était montré moins férocement ambitieuse, intellectuellement malhonnête (signant des ouvrages plagiaires, etc.) et insuffisamment épouse-et-mère modèle. Il s'agit de forger et d'entretenir un mythe éternel : le parcours exemplaire et idéal d'un modèle existentiel féminin à brandir à la nation et
aux nations (les Américains et singulièrement certaines féministes américaines tiennent
la Française pour modèle de réussite existentielle -- séduisante, mince, bien attiffée, réussissant vie professionnelle et vie familiale, etc.)
Je n'ai rien entendu d'original, d'intéressant, d'édifiant, de riche d'enseignement, rien de dramatique, de poignant non plus dans le tissu de platitudes sortant de la bouche de Mme Sinclair sur les vicissitudes qu'elle a traversées et tout le reste de son parcours professionnel et personnel. On ne sait pas pourquoi existe ce type d'émissions, à quel public on les destine, à quelle fin mais il faut que cela soit, comme la messe pour les catholiques pratiquants : ce n'est ni divertissant, ni prenant, ni édifiant, ni émouvant, mais il faut ce rappel régulier et solennel d'adhésion-approbation à la constance de la foi : ici la foi laïque en un modèle de "femme courageuse", "authentique", "libre", mesurée dans ses opinions politiques, tolérante à tout mais critique, héritière mais travailleuse, etc.
Autrefois, le bon peuple était invité avec quelque solennité à assister aux cérémonie de l'octroi de "l'ordre du mérite agricole", de "la médaille de la famille", aujourd'hui, on lui fait une "soirée spéciale" dédiée à "l'ordre du mérite journalistique et féminin" décerné en grandes pompes à une égérie et vestale des puissants qui dirigent la France depuis 40 ans, dont on produit l'apologie et qui reçoit cette distinction pour, tout un demi-siècle ou presque, avoir oeuvré de toutes ses forces à l'accomplissement réussi de sa carrière médiatique, à la promotion sociale et politique des siens et au maintien de sa vie conjugale et familiale, rien de plus; que cela "passe auprès du public", fasse recette médiatique, aille de soi, soit pris tel quel, constitue une curiosité ethnologique de la France telle qu'elle est et se réprésente en 2014.