Sur les mots de Rémi Pellet : "… des Suisses (dont on sait au passage l'admirable comportement à l'égard des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale).
Et de Daniel Teyssier : "Dans tous ces exemples, à aucun moment ne se pose la question du «Vrai»".
Je me suis appliqué à transcrire (sans les 23 notes) un des cent petits chapitres d'un des nombreux ouvrages d'un historien, s'attachant à traquer les vérités non dites de la Shoah ; Marc-André Charguéraud, engagé volontaire en 1944 dans la Première Armée française puis entrepreneur :
Marc-André Charguéraud, éditions Labor et Fides, Genève 2013
– Cinquante idées reçues sur la Shoah T II
90. Suisse, refoulements.
25 000, 40 000, 100 000 Juifs refoulés de Suisse vers une mort certaine !
1940-1944
Pourquoi exagérer une réalité qui accable la Suisse ?
L'éminent historien Saul Friedländer déclare à la presse que24 000 à 30 000 Juifs ont été refoulés par la Suisse pendant la guerre. Greville Janner, britannique, vice-président du Congrès juif mondial dans le magazine le Point porte ce chiffre à 40 000. Dans un livre paru en 1998, Gerhart Riegner, représentant à Genève du Congrès juif mondial pendant la guerre – une personne bien informée – se fait l'écho de son collègue britannique. Il écrit : " On sait aujourd'hui qu'au moins 30 000 à 40 000 Juifs ont été refoulés." Jean Ziegler, le célèbre parlementaire suisse, professeur d'Université, conseiller de l'ONU, assure dans un livre que "l'hypothèse la plus généralement admise, c'est qu'au moins 100 000 réfugiés juifs ont été refoulés ".
En 1957, sur demande des autorités fédérales suisses, une liste nominative de 9571 personnes refoulées aux frontières suisses est établie. Quarante ans plus tard, un historien commis par les Archives fédérales recense 15 000 refoulements supplémentaires anonymes " sur la base de statistiques administratives et d'autres indications". Le nombre des demandeurs d'asile refusés à la frontière suisse passe ainsi de 9 517 à 24 500. C'est ce chiffre plus approximatif qui sert aux estimations de Friedländer, Janner et Riegner à un détail fondamental près. Ils affirment sans justification que les refoulés sont juifs, ce qui n'est absolument pas le cas. Les dénombrements de refoulés par les chercheurs suisses concernent les Juifs et les non-Juifs. Les Juifs ne sont, comme on va le voir, qu'une faible minorité.
Une étape supplémentaire est franchie en affirmant, comme Janner, que "les Suisses ont refoulés 40 000 juifs, renvoyant l'énorme majorité d'entre eux à une mort certaine". Pour Riegner, "des dizaines de milliers de Juifs furent refoulés de Suisse et en grande partie remis entre les mains de la Gestapo". Friedländer, lui, conclut de façon définitive : "Il faut être clair, les Juifs refoulés sont déportés et assassinés."
Non seulement d'après eux, 25 000, 40 000 ou même 100 000 Juifs ont été refoulés de Suisse, mais ils ont été envoyés à une mort certaine dans les camps d'extermination nazis. L'information, au moment de sa publication, fait les gros titres de la presse, de la radio et de la télévision du monde occidental. Un mythe est né. "Il résulte d'un double amalgame : entre réfugiés en général et réfugiés juifs et entre Juifs refoulés et Juifs déportés vers la mort." Même si l'information demeure précaire, il est indispensable au nom de la vérité historique de rechercher l'importance réelle des refoulements et ce qui est arrivé dans les faits aux Juifs refoulés dans les pays où ils été renvoyés.
Genève est le seul canton suisse où l'ensemble des archives a été conservé. Ici les analyses se basent sur des certitudes. On liste nommément la liste de 884 Juifs refoulés à la frontière genevoise. Sur ce total, 117 ont été arrêtés et déportés vers la mort ou exécutés. On sait que 21 500 Juifs ont été accueillis en Suisse pendant la guerre. Les archives genevoises en recensent 10 000 arrivés à Genève, soit 46,5% du total. Si l'on utilise ce pourcentage pour extrapoler sur l'ensemble de la Suisse, les chiffres des refoulements, arrestations, déportations et exécutions de Genève, on trouve un nombre de refoulements ne dépassant pas 2 000 personnes. Ces chiffres doivent être considérés avec prudence et comme un indice. Ils sont basés sur l'hypothèse qu'il existe un parallèle entre les Juifs admis et ceux refoulés, et que les consignes de refoulement appliquées dans les autres cantons sont aussi sévères qu'à Genève.
Serge Klarsfeld, le fameux avocat juif chasseur de nazis, place la barre plus haut en ce qui concerne les refoulements lorsqu'il conclut son examen de la question par ces mots : "Oui, 21 000 d'entre eux (fugitifs juifs) ont été acceptés ; non, ce n'est pas 24 000 qui ont été refoulés ; mais un nombre probablement égal ou inférieur à 5 000." Ces chiffres restent atroces, mais sont sans commune mesure avec les 30 000, 40 000, voire 100 000 Juifs dont certains historiens ont fait état.
Les Juifs qui ont été victimes des nazis à la suite de refoulements ont été arrêtés au-delà de la frontière suisse, presque tous en France. Dès l'entrée en guerre du IIIème Reich, la frontière avec l'Allemagne et l'Autriche est bouclée. Les Juifs ne peuvent pratiquement pas y accéder, encore moins la traverser. L'autre frontière où l'afflux de réfugiés a été important est celle de l'Italie, à la suite de l'occupation allemande du pays en septembre 1943. Une historienne italienne, qui a consacré un ouvrage à la question, estime que 6 000 Juifs ont été acceptés en Suisse, 500 au grand maximum expulsés et moins d'une centaine arrêtés et déportés.
Il faut se tourner vers la France voisine, car c'est bien là que la quasi-totalité des refoulés ont été arrêtés et déportés. Tout Juif, s'il a été déporté de France vers les camps de la mort, figure sur la liste des déportés établie par Klarsfeld dans son Mémorial de la déportation des Juifs de France. On connaît très exactement le nombre de Juifs arrêtés pendant la guerre dans le Territoire de Belfort, le Doubs et le Jura, les principaux départements français de la frontière ouest de la Suisse en dehors de Genève. Il s'élève à 850 personnes dont la moitié environ étaient résidents avant 1939. Klarsfeld estime donc qu'environ 450 fugitifs juifs ont été arrêtés avant d'arriver à la frontière suisse ou à la suite d'un refoulement, Ces chiffres semblent indiquer un niveau d'arrestation certes plus élevé qu'à Genève, mais qui reste faible.
Il y a aussi les refoulés qui sont passés entre les mailles du filet et ont pu rejoindre un département plus éloigné de la frontière. Pour eux, il est impossible de connaître combien furent arrêtés et déportés plus tard. Il ne devrait pas avoir dépassé 25%. Malgré ces arrestations trop nombreuses, on reste loin des estimations affirmées par certains et reprises par les médias étrangers.
Certains diront : "Il est inacceptable que la tragédie humaine de la Shoah fasse l'objet de comptages." "L'histoire ne se résume pas à des statistiques." "On peut manipuler les statistiques d'êtres vivants comme celles des marchandises." Et en filigrane s'inscrit un avertissement grave : attention, "ne cherchez pas à minimiser l'horreur de la Shoah". À ceux-là Serge Klarsfeld répond : "Soulignons une fois encore avec le plus de force possible que chaque fois que nous découvrons que les victimes ont été moins nombreuses que l'on ne pensait, il faut se réjouir des vies épargnées tout en exprimant le plus activement possible notre compassion envers les victimes." C'est pleinement le cas ici.
On ne pourra jamais donner une liste précise, complète et définitive des personnes refoulées de Suisse et de celles qui furent déportées bers la mort. Chaque homme, femme ou enfant qui a perdu la vie dans ces circonstances stigmatise pour toujours la conduite de la Suisse. Mais il reste fondamental que les ordres de grandeur annoncés, ceux sur lesquels la Suisse est jugée, correspondent à une réalité probable, or ce n'a été que rarement le cas ces dernières années. –