"On vous le dit Eva Joly n'a pas d'accent ou les cons de l’année prochaine sont déjà là."
Article paru dans le journal
L'Opinion Indépendante
La polémique autour d’Arnaud Montebourg n’est pourtant rien au regard de celle déclenchée à l’encontre de l’écrivain Patrick Besson à l’occasion de sa chronique du Point, publiée le 1er décembre, dans laquelle il imaginait le premier discours d’Eva Joly élue à l’Elysée en contrefaisant phonétiquement son accent. Morceaux choisis : «Zalut la Vranze ! Auchourt'hui est un krand chour : fous m'afez élue brézidente te la République vranzaise (…) Che n'héziderai bas à vous mèdre en examen et égrouer doute intifitu qui s'élèfera gontre la falitité du scrudin hisdorique te mai 2012.» On sentait bien Eva Joly peu portée sur la rigolade. Elle a en effet dénoncé «une attaque raciste». D’autres cris d’orfraie ont suivi : «propos xénophobes» (Cécile Duflot), «consternation et colère» (Claude Bartoloné, PS), «racisme ordinaire» (Noël Mamère), «xénophobie insupportable» (François Delapierre, Front de Gauche). Ce dernier, directeur de campagne de Mélenchon, a encore déploré que l’écrivain «souffle sur les braises de l’affrontement entre les peuples alimenté par la crise comme par la dérive autoritaire de l’Union Européenne. Ce n’est pas simplement grotesque, c’est criminel.» Montebourg / Besson : même combat ?
Sans surprise, le pompon du comique involontaire revient à SOS Racisme : «Ce pamphlet ne relève pas de la simple maladresse ou d’un humour (des plus douteux) mais bien d’une vision à connotation xénophobe, dans la lignée de celui de l’extrême droite française qui, à la fin du XIXe siècle, attaquait Léon Gambetta sur son accent toulousain.» L’accent toulousain de Gambetta, mort en 1882 (à la fin donc du XIXème siècle) et au passage farouche germanophobe, partisan de la guerre à outrance contre la Prusse ? L’Histoire a plutôt retenu son extraordinaire talent d’orateur, mais les Toulousains seraient fiers de savoir qu’il ponctuait ses discours de «cong» car ici, comme le disait le poète, «on se traite de cong à peine qu’on se traite».
On résume. Eva Joly n’a pas d’accent. Elle est une oratrice exceptionnelle qui séduit les Français par la douceur de son phrasé en parlant un français aussi exemplaire que la syntaxe de Cécile Duflot. Il suffit de faire passer l’information à tous ceux (écrivains, journalistes, humoristes, simples citoyens) qui auraient encore l’idée saugrenue de faire référence, sous une forme ou une autre, aux accents et tics de langage des personnalités politiques. Il conviendra ensuite de corriger les erreurs passées : Gaston Defferre ne bégayait pas, Georges Marchais parlait pointu, Charles Pasqua n’évoque pas les personnages de Pagnol. Il faudra ensuite vérifier que d’autres écrivains n’aient pas emprunté la dérive nauséabonde de Besson. Tel un certain Honoré de Balzac ridiculisant dans Le Cousin Pons le malheureux alsacien Schmucke : «Che le sais... mais sonchez que che zuis zeul sur la derre, sans ein ami... » Le plus drôle est que ces accusations délirantes soient tombées sur un grand écrivain français de sang mêlé (père russe, mère croate) ayant grandi à Montreuil, inlassable voyageur qui parle notamment le serbo-croate et le thaï (avec une pointe d’accent français). On espère juste qu’après les délits de germanophobie et de norvégeophobie, nos gardiens de la pensée correcte n’instituent pas le délit de «conophobie». Les tribunaux seraient engorgés. La preuve, on a l’impression que les cons de l’année prochaine sont déjà là.